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Grand bond


Grand bond en avant, pour sûr. Me voici à Kunming, la capitale du Yunnan, dans le Sud-ouest de la Chine, à 1500 mètres d’altitude environ. Cette fois j’ai vu les montagnes, la forme de la ville vue du ciel, répandue entre les plis du relief comme de l’eau dans un sac plastique traînant dans une flaque semi cabossée (le sac plastique est un élément qui s’avère traîner beaucoup, en Chine…). Elle a sept millions d’habitants, à force de s’étendre jusqu’où les pentes l’arrêtent, même si pour les Chinois elle n’est qu’une « petite capitale de province », bien bouseuse qui plus est, puisque le Yunnan est, traditionnellement, une province agricole, pauvre, montagneuse, et pas pratique.

J’y étais arrivée en bus ou en train les fois précédentes, cette fois j’ai eu la chance de découvrir son « aéroport international », relié en direct à Bangkok, à Dakha, à Calcutta, et à Hong Kong (s’il faut considérer ce port comme il semble se considérer lui-même, un port étranger…). J’étais entourée de soixante kilos de bagages environ, quarante que la compagnie avait gentiment laissé passer en soute, et vingt d’un condensé cabine extra lourd, passé l’air de rien, l’air de « ça ne pèse pas lourd, non, non, tout va bien », contenant de quoi survivre musicalement et littérairement, principalement, pour les quelques premiers mois à venir. Equipée de ce pesant à peine plus volumineux que moi finalement, j’avais eu la chance de visiter Shanghai en bus trans-aéroport, de Pudong à Hong Qiao Airport, après une escale à Londres et quatorze heures de vol : cela avait été bref mais intense, juste le temps de transpirer très fort et de découvrir partout des caractères chinois et des gens qui me parlaient dans un brouillard sonore incompréhensible, et de me faire les bras en rêvant de détachement monastique et de baluchons symboliques et minimalistes. Kunming International Airport, donc, paraissait calme et doux, ces paysans de Yunnannais se promenaient nonchalamment, les mains dans les poches, en crachant et en agitant de temps en temps leurs téléphones portables, ou en s’échangeant des cigarettes.

J’ai attendu Sophia une dizaine de minutes, et elle est arrivée, tout sourire, tout empressée de me faire monter dans la voiture, sous ce soleil qu’il fallait fuir à tout prix. Quelqu’un d’autre conduisait, un type que je crois qu’il va me falloir deux mois pour identifier avec certitude, parmi tous les visages que j’ai vus ces premiers jours et que je n’ai pas le temps d’assimiler réellement : c’était, je crois bien, Liu Xiang, le vice-président et le patron de Sophia, responsable des professeurs étrangers mais ne parlant pas un mot d’anglais. Sophia traduisait donc, et j’étais partagée entre soutenir la conversation et me perdre par la fenêtre, dans le paysage, dans la ville, ces images nouvelles et retrouvées, et mes émotions…

Retrouvé, le centre-ville, ces autoponts gigantesques sur lesquels les piétons sont obligés de passer pour traverser, ces carrefours larges et calmes, finalement ; cette odeur, surtout, qui déjà m’avait frappée la première fois que j’étais revenue à Kunming : le charbon, l’huile, l’échappement, que dire ? Les arbres, des palmiers, des lauriers, de petits arbustes à feuilles rondes. Les grands immeubles du centre, les panneaux publicitaires géants, un grand buffle, ou est-ce un taureau, sur l’enseigne d’une marque de cigarette étalée sur dix-huit mètres de long au-dessus d’un gazon, en-dessous d’un skyline ; les maisons restées traditionnelles, occasionnellement, pour un restaurant, un hôtel, et puis les tours, aussi, derrière… De ronds-points en ronds-points, de larges avenues en larges avenues, nous sommes arrivés à un embranchement un peu particulier, un peu plus poussiéreux, un peu plus bordélique, un rien défoncé déjà, puis à une route qui se rapprochait dangereusement de la montagne. A coup sûr une zone où je n’avais jamais mis les pieds, et où je n’aurais sans doute jamais mis les pieds si je n’avais eu la chance de tomber sur cette opportunité enseignante… A mesure que nous avancions, la logique interne d’une petite voix me disait qu’il y avait peu de chance a priori pour que nous allions en direction de la montagne à ce point, pour en revenir plus tard vers l’intérieur. Allions-nous la traverser, cette montagne ? Tout à coup je relisais mentalement mon contrat, et rien n’indiquait la distance à parcourir dans la ville. Une adresse, à peine… Un code postal que j’avais vérifié, qui correspondait bien à Kunming, mais Kunming, qu’est-ce que cela voulait dire ?…

Les avenues dans ce coin, heureusement, étaient larges et propres, étrangement larges et étrangement vides à vrai dire, fonçant vers la montagne comme si elles avaient voulu lui signifier son déménagement prochain, ou sa transpercée. Tout à coup, sur la droite, est apparu un mirage, un dôme blanc, étrangement lumineux sous ce soleil de septembre à peine remis des torrents orageux de la saison des pluies, le Dôme de Florence ou celui du Capitole, posé là, au milieu des champs, des poteaux électriques et des murs de brique orangée. Nous avons bifurqué pour foncer droit sur le Dôme, et mon cœur s’est mis à battre, ça y est, j’allais enseigner dans une réplique d’Oxford, posée dans une zone inconnue du monde, entourée de barrières et de gardes placides en uniformes, sortant tranquillement de leurs cahutes pour ouvrir la barrière quand il le fallait, et sirotant leur bouteille de thé le reste du temps.

Nous avons commencé à arpenter le campus, plein de ralentisseurs, d’étudiants ralentis eux aussi, cachés sous des parapluies contre le soleil, souriant deux par deux, trois par trois, délibérant sans doute sur l’échelle de leurs prochains mouvements, un retour dans tel bâtiment, ou l’achat d’une autre sucette au coca, plaisantant et se poussant parfois d’un air de jouer, comme des gamins. Comme cela allait me faire du bien, d’être entourée de gamins… D’une légèreté, de préoccupations autres que celles de garder ou non son emploi, licencier ou non cinq cent employés, sourire ou non à son directeur, à son client, à son journaliste préféré… Ces jeunes commençaient leur vie d’adultes, et ils étaient plein d’espoirs et de questions en même temps, cela se voyait dans leur démarche même, dans leur enthousiasme à être ici, en autarcie, sur un campus… Du moins est-ce ce que je mettais pèle mêle dans ma tête, à ce moment là, pour combler l’étonnement, et l’abasourdissement analphabète où j’étais.

Ce campus-ci s’est avéré avoir une fin, un autre côté, avec une autre porte, et nous avons, surprise, quitté cet univers pour une toute autre magie. A ce stade là, je ne pouvais plus parler… Nous étions embarqués sur une route telle que je n’aurais même pas pensé l’imaginer, du moins pas dans une ville de sept millions d’habitants par ailleurs hérissée de tours bancaires et d’hôtels, et pas aux alentours d’un campus universitaire… Je me suis demandé soudain si je n’étais pas en train de rêver, et je me suis dit que de toute façon, comme jusqu’auparavant, nous allions bifurquer quelque part, et nous engager à nouveau dans un nouveau contexte. Pas manqué, nous nous sommes engagés, précisément, dans la porte de mon campus à moi, un petit portail caché là lui aussi, discret, au milieu de ce capharnaüm boueux de tricycles, tracteurs, fritures sur le trottoir, étudiants et paysans en chapeaux mêlés tranquillement sur la chaussée, et autour, mais surtout sur la chaussée, qui n’avait plus d’existence propre à vrai dire, qui devenait la liaison continue avec les bâtiments qui l’entouraient, qui la serraient, trop étroite, trop malvenue dans ce lieu où l’on avait, immanquablement, besoin d’espace… Je n’en revenais pas, mais j’étais heureuse : voilà où j’allais vivre, voilà la Chine telle que je voulais la voir, finalement, voilà le lieu qui m’accueillait pour cette année, ou peut-être plus, qui savait…

La montagne était juste là, quasiment derrière les murs du campus. Elle était rouge, cassée, droite, mais reposante, elle nous regardait, et je la regardais avec reconnaissance : il n’y a rien de tel qu’une montagne juste sous l’œil pour se questionner sur le « derrière », sur l’après, sur la continuation de l’espace ou des idées… Sophia m’a montré deux appartements, me proposant de choisir, mais le choix fut vite fait : le premier était au cinquième étage d’un bâtiment un peu reculé, avec une large baie vitrée sur la montagne, et l’autre, un premier étage deux fois plus petit, sur le palier même de l’Administration du Collège… Je me suis demandé après coup ce qui lui avait pris de me donner l’option, si pour elle il y avait quelque chose de valorisant ou de positif, peut-être, à se trouver à la portée du Bureau, ou si elle doutait de ma capacité à monter les escaliers, ce qui à vrai dire aurait pu être une explication plausible, ou encore si les Chinois accordaient, d’une façon générale, une appétence seulement moyenne aux étages élevés sans ascenseurs

En fait, l’explication se manifesta assez vite d’elle-même, quand il s’agit de hisser mes soixante kilos de bagages jusqu’à l’appartement : évidemment, en ce samedi après-midi ensoleillé, nous aurions tous préféré éviter ça.

Une fois dans l’appartement, vive ambiance, nous sommes rapidement rejoints par une armée d’auxiliaires, convoqués par Sophia au vu des nombreux cartons qui encombrent le lieu, et des embûches techniques à terrasser, le gaz et le lave-linge en particulier. Arrivent un grand type hilare, mocassins râpés à bouts carrés, puis un plus petit, mocassins à bouts carrés également, un autre passera avec une ampoule électrique et une échelle de six pieds de long, il porte les mêmes mocassins, et Liu Xiang, le chef taciturne, est au milieu, rougit timidement si on l’observe trop, accepte les cigarettes qu’on lui tend, et regarde le bout de ses mocassins, à bouts carrés bien entendu. Le grand type hilare s’attaque au carton du frigidaire, posé dans un coin, qu’à coup d’acharnement et de grands rires il parvient à démonter, et tous nous admirons l’appareil flambant neuf, grisé, moderne, comprends-je à la mesure de la satisfaction générale, qui va trouver sa place dans un coin du salon − comme ça on est sûr de pouvoir vraiment en profiter, et admirer sa facture tout esthétique.

Le grand type rejoint rapidement son confrère et Sophia, occupés au carton du lave-linge, un petit carton de rien du tout mais dedans, quel trésor… Un lave-linge électronique, attention, qui, m’explique Sophia, sèche même le linge ! (En fait je n’ai pas tardé à comprendre qu’il l’essore, ce qui est déjà fort compétent de sa part, compte tenu de la norme moyenne du lave-linge asiatique, comme j’ai déjà eu l’occasion de m’en apercevoir au cours de quelques voyages. En Asie du Sud-est, nul besoin de faire chauffer l’eau, elle est déjà tempérée par le soleil quand elle sort du tuyau ; en Chine en plein hiver, il peut être utile de mettre, une fois de plus, le bon vieux thermos d’eau chaude à contribution…). Le lave-linge est couché, à coups de grands éclats de rires, raclements de gorge et torsions, sur son flanc tout électronique, et on entreprend de le démonter, et de lui installer un tuyau d’évacuation sur le bon côté. Si tant est qu’il y ait un bon côté, car on n’a pas vraiment réfléchi à l’emplacement où le disposer ensuite. Il trône au milieu du salon, et tout en riant toujours de plus belle, on le pousse vers la salle de bain, où il franchit le dénivelé du carrelage mais ne trouve pas d’espace accueillant, on le remet donc dans le petit couloir où il est censé bloquer l’accès à la salle de bain, juste devant le lavabo, comme ça au cas où l’on avait trop l’intention de se laver, l’affaire est réglée, et on fait les branchements, tuyau posé par terre sur le carrelage, l’eau n’aura qu’à aller dans la bouche d’évacuation sous le meuble… En avant pour un test, remplissage, montée de l’eau sous le regard admiratif de Sophia, et hop, problème, un petit réglage supplémentaire à faire probablement, on arrête tout et pour vider l’engin, rien ne vaut une bonne petite inclinaison, à la gite le tank à eau rend son contenu, sur le carrelage de la salle de bain et du couloir réunis…

Finalement, il est décidé que le lave-linge n’a qu’à rester au salon, à côté du frigidaire, et qu’il suffit de le tirer dans le couloir, jusque devant la porte de la salle de bain, où le tuyau pourra cracher librement tout ce qu’il veut sans risquer d’envahir la bouche grillagée sous le meuble du couloir, qui visiblement n’apprécie pas trop les noyades… Un système pratique, simple, économique et écologique car le nombre de lessives potentielles est ainsi réduit de moitié, voire des deux tiers, et la motivation à utiliser son linge trois jours de suite, renforcée confortablement.

Autre joyau de l’appartement, le micro-ondes, dont les touches ont eu la présence d’esprit de s’orner de dessins pour analphabètes étrangers, un atout sans nom quand on connait la technologie des micro-ondes du 21ème siècle, où il ne suffit pas de dire « temps » et « chaleur », mais où il faut expliquer à l’utilisateur comment distinguer un « vapeur croustillante » d’un « dégel adoucissant », ou encore d’un « bronzage léger », pour des produits tout aussi variés qu’un biberon de lait, une miche de pain ou un pigeon rôti à pattes arrières fleuries (modèle international, semble-t-il, de la pièce carnée « de choix » et de la gastronomie ultime…).

Le type hilare, à qui je montre, curieusement, les grands cartons éventrés gisant sur le sol entre le passage d’entrée et le canapé du salon, trouve une solution efficace, rapide, et hilarante, ce qui ne gâche rien, il ouvre la fenêtre de la baie vitrée, regarde en-dessous, constate qu’il y a déjà quelques déchets massifs et non identifiés, et balance tranquillement les cartons : plof, cinq étages, nous voilà débarrassés d’un problème.

On fume, entre deux opérations, et on téléphone, ça sonne de tous les côtés de musiquettes pop électronisées, auxquelles on répond « wei ! » en hurlant, le sourire aux lèvres toutefois car il ne s’agit pas d’aboyer sur son interlocuteur, comme il peut sembler au premier abord à une oreille française peu accoutumée, mais bien de lui signifier un feed back de la réception cinq sur cinq d’un appel téléphonique, et la création d’un échange satellisé émetteur-récepteur. Sophia me montre la télévision, cinquante-quatre chaînes, toutes en chinois, sauf une, CCTV 9, un condensé des autres en anglais, pour quand j’en aurai marre de faire l’analphabète assumé… Elle installe la machine à eau, une spécificité chinoise que j’ai remarquée partout ensuite, la grosse bonbonne de nos bureaux et couloirs de collectivités, mais distribuant ici, dans les maisons − grâce à la fée Electricité qui l’alimente et à une résistance à peine capable de résister à un orage (constatation quasi immédiate), mais efficace en terme de bouillon d’eau −, de l’eau froide, ou bouillie. J’aurai tout le loisir ainsi de me faire le palais en douceur, à mon rythme et avec toutes les grimaces que je voudrais dans l’intimité discrète de mon home, sweet home, à cette spécialité objectivement incontournable, l’eau minérale bouillie…

Le technicien du gaz arrive − le livreur, en fait, chargé d’une bouteille sur l’épaule, qu’il a auparavant sans doute charriée sur un vélo avec six ou sept autres, c’est la constatation que j’ai faite assez vite en me promenant aux abords du campus, où partout l’on livre et délivre à qui mieux-mieux du gaz naturel, en toute sécurité bien entendu, presque comme chez nous où il faut un camion « ISO 60 000 » pour ne déplacer ne serait-ce qu’une demi-bombonne… Il installe la bouteille, et à quelques bouts près de polystyrène distribués un peu partout, et de chaises poussiéreuses partout éparpillées, je suis prête à m’asseoir enfin sur le canapé, seule pour vingt minutes puisque Sophia m’a donné rendez-vous en bas de l’immeuble pour un dîner d’accueil au restaurant.

Je suis, comme on dit, explosée de fatigue, d’émotion peut-être aussi, et de difficulté à réaliser que, ça y est, je suis sur ce campus en Chine où j’avais rêvé d’atterrir. Là encore, c’est l’odeur qui me frappe, l’odeur de cet appartement, unique, comme jamais je n’en avais sentie. Le sky des fauteuils peut-être, et le bois traité des meubles, et l’air chauffé par le soleil dans cette baie vitrée plein Ouest, en plein mois de septembre. Et l’air du dehors qui s’infiltre, infiniment complexe, varié de molécules que jamais je n’avais imaginées pouvoir cohabiter ensemble et laisser encore les humains s’épanouir alentour, un air presque attachant toutefois, inloupable, copain ou ennemi, il faut choisir, mais comme il faut cohabiter avec lui, autant en faire un copain…

Dans mes vêtements d’avion et de portage de bagages, tant pis, je descends dîner, il est 18 heures à peine, mais les restaurants sont pleins ; Sophia m’emmène dans l’un d’entre eux, en bordure du campus, face à une rue parcourue de rickshaws pétaradants à tissu fleuri, et derrière, un marécage rempli partiellement d’ordures, où pataugent, dans les coins un peu plus secs, des enfants à la recherche − de trésors sans doute… Voilà la misère qui peut côtoyer les hôtels du centre, voilà les zones dont on parle, en Inde, au Caire ou ailleurs, mais que je n’avais pas imaginées en Chine.

Nous dînons de quatre ou cinq plats, sur un plateau tournant et une nappe en film plastique genre « sac à légumes pour la pesée chez Leclerc », le label écolo en moins, et le toucher un peu plus doux, un peu plus mou et fin il faut croire… Du plus grand effet. Simple et efficace, une fois de plus. Les plats sont délicieux, je fais ainsi mon huitième repas de la journée − à changer trois fois d’avion, forcément, on fait la tournée des Grands Ducs… Il y a avec nous une collègue de Sophia, qui parle anglais elle aussi, mais moins bien, mais pourra, me dit Sophia, m’enseigner le chinois le plus pur car elle vient du Nord, elle n’a pas l’accent de Kunming, redoutable apparemment pour qui veut passer pour quelqu’un de sérieux quand il se rend en latitudes supérieures…

Après le dîner, cette collègue m’accompagne pour un petit tour le long de la rue, la soirée est chaude, les étudiants pullulent, les commerçants aussi, éclairant de leurs boutiques ouvertes la chaussée autrement plongée dans l’obscurité. Il faut faire attention où l’on met les pieds, le sol a l’air intéressant… Effectivement, il l’est, comme je l’ai constaté le lendemain, et sans doute ce sol là pourrait être une source intarissable d’intérêt, un tableau brut en soi… Je cherche à acheter des draps, car la literie n’est pas fournie dans l’appartement, mais je ne trouve que des draps étudiants à taille unique, « single size », et à motifs plus qu’enchanteurs (qui n’a pas rêvé un jour de dormir dans les bras de la Belle au Bois Dormant version manga, de Mickey Mouse surfant une vague mauve à étoiles, ou dans une brassée de fleurs sûrement très aphrodisiaques, tant que l’auto-persuasion et l’esprit d’imagination veulent bien s’en mêler ?…). Je me rabats donc sur mon sac de couchage « -12°C », en attendant de trouver mieux.

Ce qui ne tarde pas, grâce à une excursion menée par Sophia, et à laquelle participent toute la bande des professeurs étrangers nouvellement atterris de leurs planètes diverses, ou presque, chez Wal- Mart, le champion de la grande distribution à Kunming, avec Carrefour, son concurrent.

J’avais un souvenir amusé de Wal-Mart il y a trois ans, lors de mon premier passage à Kunming où j’avais dû m’y précipiter par curiosité, et aussi pour m’acheter une bouillotte à imprimé plastifié de faux chats Kitty afin de faire face à la nuit potentiellement glaciale du dortoir de l’auberge de jeunesse, et j’ai retrouvé la même pagaille, sauf que cette fois je savais qu’il ne fallait pas chercher inutilement midi à quatorze heures, le rayon des casseroles à côté de celui des balayettes, ou l’espace dentifrice à côté des bonbons acidulés, non, il suffisait de se laisser aller, de se laisser glisser quelque part, et l’on finirait bien par trouver l’intégralité de sa liste de courses, les espoirs étaient tous permis. J’ai fini par trouver ma paire de draps, une couette et un oreiller, non sans quelques douloureux efforts de compréhension des étiquettes et de déchiffrage des explications patientes de la vendeuse en charge, la malheureuse, du rayon envahi par une équipe d’étrangers en mal de literie, en tout cas c’était parti, j’avais un lit et de quoi faire des batailles d’oreiller toutes plumes de canards laqués sorties, c’était le principal.

Ces quelques considérations matérielles mises à part, je suis à présent bien installée, j’ai pris le bus 113 pour descendre dans le centre-ville, un joyeux trajet blindé d’étudiants en sweat-shirts et cheveux en pétard, je n’ai toujours pas récupéré de carte donc je ne sais pas où je suis, mais je suis bien en Chine, pas de doute là-dessus, et il ne me reste plus qu’à me préparer mentalement à l’idée d’enseigner, car je commence dans deux jours… De bons moments de surprise en perspective, je suppose… Je ne manquerai pas de prendre moi aussi des notes studieuses, pour le blog ou pour le plaisir de relire ça un jour, si le temps m’en est laissé…