2ème passage en Chine…
01/03/2004 07:02Objet : Au pays du poulet rieur…
Bonjour !
Je vous écris des dangereuses terres de la Thaïlande et du Yunnan où, dit-on, des chats sont morts… Il ne faut jamais crier victoire sur la peau de l’ours avant de l’avoir quittée – après tout je suis encore à Bangkok pour quatre heures -, mais soyez rassurés, on ne s’obsède pas plus que ça ici des poulets fous, qui ont encore des lendemains chantants devant eux. Je vois que les médias ont encore bien fait leur travail, quoi de plus vendeur que l’affolage des populations. Et vu la façon dont on traite la cohabitation des humains et des bestiaux par ici, et les conditions extrêmes d’hygiène, nul doute que des milliers de virus ne se soient créés et se créent encore ; la différence, c’est qu’aujourd’hui on a les moyens de venir y mettre son nez et d’en parler…
Si tout va bien, donc, je serai dans l’avion pour l’Australie cet après-midi, direction Melbourne. Je n’ai aucune idée du nombre d’heures de vol, j’ai perdu (dans ma quête d’allègement maximal du poids du sac…) la feuille de route. En tout cas, ça va être un sacré décalage, une replongée sur le versant « occidental » du monde (même si l’Australie, après tout, c’est encore géographiquement, et culturellement peut-être – mais ça j’en saurai plus d’ici quelques semaines – l’Asie…), après ces six mois en Orient.
Western asiatique
Une des premières choses qui m’avaient frappée, c’est la constante distinction entre « l’Asie » et « l’Occident » : on est avant tout ici des « Westerners« . Eh bien je vois à présent que, malgré les différences énormes entre les pays où j’ai pu passer, on retrouve partout – même en terres froides, dépourvues par exemple de toute nécessité de lenteur dans la marche (justifiée en revanche quand on cherche à limiter la transpiration…), même en terres « modernes et speedées » (alias Japon citadin…) – des piliers communs. En vrac, pour tâcher de caractériser à l’emporte-pièce les « Easterners » :
- Pourquoi se buter sur un objectif unique : si telle solution ne fonctionne pas, il suffit d’en essayer une autre – et une autre, et encore une autre… L’histoire ne dit pas où ça s’arrête, d’où la fameuse conception du temps « asiatique ».
Mais à bien y réfléchir, c’est vrai que si une nouvelle vie nous attend après celle-ci, pourquoi être pressé par le temps ? Et à y réfléchir de plus près encore, même si la réincarnation n’est pas dans nos objectifs futurs, pourquoi se speeder ?… Après tout, chaque seconde vaut bien la peine d’être vécue, même si c’est dans une file d’attente ou un embouteillage (évidemment j’ai limité ma consommation de files d’attente ces derniers mois, n’ai gardé que les plus pittoresques, gares chinoises et marchés étroits… Quant aux embouteillages, les habitants de Bangkok sont bien servis, et les Parisiens si bien desservis en comparaison…).
- Pourquoi imaginer qu’on va traverser la vie efficacement en se bourrant le crâne et en traitant son corps comme le dernier des renégats, qui n’a qu’à suivre après tout ?… Même si les citadins d’Asie, si fiers de leurs vitres teintées et de leur nouveau portable, n’ont pas nécessairement la sobriété des moines perchés dans les monastères, ils sont guidés quotidiennement par les signaux que leur envoient leurs instincts – d’où les dix repas qu’ils font par jour, chacun descendant, à toute heure, piocher à tel ou tel stand dans la rue, suivant ses envies du moment. Les repas en commun fonctionnent sur le même principe : que ce soit en Chine, au Vietnam, en Thaïlande, et même au Japon pour certains types de repas, on prépare toute une diversité de plats pour accompagner le riz, et chacun prend ce qui lui parle, en veillant toujours à éviter la gloutonnerie individualiste reprochée aux Occidentaux… (le règlement du monastère où j’ai passé une semaine, au Yunnan, qu’on nous fait lire à l’arrivée et qui se conclut aimablement par un « if you don’t feel in agreement with these rules, you’re welcome to leave« , le stipule d’ailleurs très ouvertement…).
La Chine et l’Inde ont irrigué la région de leurs techniques médicales, qui se sont adaptées aux habitudes locales, et l’on a mis au point différentes méthodes, où le massage, la pression de certaines zones (le long des fameux méridiens), les plantes (y compris dans la cuisine, en particulier en Thaïlande où l’on combine dans les soupes ce qui pourrait passer pour de simples épices à cracher le feu, mais qui joue en fait le rôle subtil d’anti-diarrhéique, de réducteur de flatulences, d’expectorant pulmonaire…), la gymnastique tiennent toujours le haut du pavé.
- Pourquoi parler le premier, et se livrer d’emblée à des confessions destinées, certes, en nos contrées, à mettre l’autre à l’aise, mais qui sont ici perçues comme une agression sans nom (on impose à l’autre, d’une certaine façon, l’attente d’une confession réciproque). Mieux vaut pratiquer l’observation, et à cela les Chinois sont les rois, imbattables en matière de curiosité.
Et mieux vaut, si l’on prend la parole, en rester à des sujets « objectifs ». Avis à ceux qui veulent faire des affaires par ici, il faudrait d’abord, paraît-il, franchir quelques jours, voire quelques semaines, de conversation légère, sur la famille, les hobbies, etc., et surtout prouver sa résistance à l’alcool, au sake, au vin de prune ou de riz, avant d’entamer les négociations…
Savoir tenir ses baguettes peut aussi être un atout (même si un petit show à la « Pretty Woman découvre les escargots » pourrait n’être pas totalement privé de séduction ; mais là, je m’avance).
- Pourquoi dire « je ne sais pas », quand un « peut-être » a le mérite de couvrir le vide et de laisser l’affaire joliment intacte… Ah, le fameux « maybe« , encore ce matin j’y ai eu droit, à la recherche de la post office, et c’est avec une larme à l’œil que je l’ai accueilli ; il va me manquer… J’ai constaté, par contre, qu’au lieu de tomber dans le panneau d’y croire naïvement et d’aller tout droit à l’endroit indiqué par le « maybe« , comme je pouvais le pratiquer les premiers temps, ou qu’au lieu (deuxième phase de l’évolution) de m’énerver et de dire quelque chose de l’ordre de « maybe ? maybe ?.. yes or no ! » (le fameux « oui ou merde » français…), j’ai suggéré tranquillement qu’il me semblait y avoir une carte affichée sur le mur, et miracle, les bureaux de poste y étaient indiqués (et la première indication, celle du « maybe« , était, pour ne pas déroger à la règle, à l’exact opposé du petit bureau de poste joliment tracé à l’angle de deux rues sur le plan…). Ah, l’Asie… ça vous gagne !
Encore bien d’autres choses, mais point n’est tenue ici l’idée de faire un catalogue… Il reste, en tout cas, que la fameuse « sagesse asiatique », si difficile à percevoir à première vue derrière les klaxons, le bruit permanent, les téléphones portables hurlants, les crachats et le trafic à sens multiple, est peut-être bien un peu plus qu’une légende…
A Kunming pour le Nouvel An chinois
Pour vous raconter un peu ce que j’ai fait depuis le mois dernier : j’ai experimenté une serie de chocs culturels, des passages brutaux via air mail d’une terre à l’autre – précisement ce que je voulais éviter pendant ces six mois en Asie by land, mais l’appel de la Chine était trop fort et depuis la Malaisie, l’avion n’était pas une solution si malvenue après tout.
(Petite apparté, tandis que je vous écris, constatant que les trois modems soutenant l’ensemble de ce cybercafé sont sur une petite table à côté, et qu’un ventilateur leur est dédié, juste pour eux… Détail idiot, remarqué peut-être par jalousie pour les modems – mes pieds apprécieraient aussi le ventilateur -, mais le détail me touche. Espérons par contre que je pourrai finir ce mail avant que tout ne saute…).
Arrivée en Chine donc, à Kunming, découverte soudaine de l’hiver après huit mois au chaud (un printemps et un été français, cinq mois ensoleillés et tropicaux ensuite), inauguration de la boîte de smecta, bonheur du dortoir sous la couette (où l’on regarde, l’œil vaseux, défiler les colocataires internationaux et leurs histoires) et investissement rapide dans la bouillotte, l’écharpe, la veste polaire coupe-vent. Après ça, Nouvel An chinois, quinze jours de pétards, lancés si possible dans les pieds des touristes, c’est toujours plus drôle, surtout pour amuser les petits enfants chinois, adorables dans leurs grosses doudounes et leurs bonnets à pompons ou à petites oreilles (de chat sauvage, un animal adoré des Chinois, a-t-on eu l’occasion d’expliquer à la télé en France, je crois, à l’occasion de SARS-Le Retour).
Une semaine chez les moines en montagne
Après une semaine à Kunming (j’adore cette ville), train (la fête : les trains chinois, j’adore encore plus !) jusqu’à Dali, où je suis restée trois semaines, dont une dans un monastère dans la montagne, à apprendre un peu de kung fu et de tai chi. Cet endroit est incroyable. Le temple de Wu Wei« , s’appelle-t-il, wu wei étant le concept taoïste de la non-action : ne rien faire qui aille contre la nature, laisser couler…
On est donc au milieu des pins, on domine le lac (la mer, plutôt – c’est d’ailleurs le même mot en chinois, hai -, si l’on a pour référence nos échelles européennes…) de Dali, personne ne nous voit d’en bas, pas non plus la nuit car il n’y a pas d’électricité ; on entend les oiseaux et la fontaine qui bruisse dans la cour du monastère.
Je m’endormais au son de l’eau qui chante et des clochettes pendues aux coins des toits, me réveillais avec le gong et les prières des moines à 6h30. A 7h, on partait courir et remonter sur nos têtes de grosses pierres (taille décroissante à mesure que la semaine avançait, en ce qui me concerne…) de la rivière. A 8h, petit-déjeuner. De 9h à 12h, entraînement au kung fu (suivi, pour moi, d’un peu de tai chi, tandis que les autres s’adonnaient à des sauts périlleux et autres galipettes acrobatiques dont j’ai toujours raffolé, ainsi qu’à des jeux d’épées et de bâtons très impressionnants).
Déjeuner, suivant les règles des moines boudhistes du Mahayana, qui ne mangent rien d’animal, et excluent également certaines épices jugées « excitantes », le gingembre et l’ail notamment ; pas le piment heureusement, le meilleur des radiateurs internes quand on casse la glace le matin sur le sol, et qu’on peut oublier la douche pendant une semaine (le lavage des cheveux dans une bassine à l’eau de la montagne étant une pratique chinoise courante, à laquelle j’ai eu la joie de m’initier…). Quand on a fini de manger, on passe devant toutes les tables en proclamant une louange à Boudha, à laquelle tout le monde est tenu de répondre (joyeux concerts de « Amidabu« , une formule d’abord incompréhensible, qui sonne un peu comme un « only tofu« , en fin de compte… mais qui signifie en fait le nom du Boudha Amida, célébré jour et nuit dans les monastères comme celui-ci, où l’on pratique le boudhisme des sutras, de la récitation).
Pause jusqu’à 16h, sauf pour les enfants (c’est un monastère qui recueille des orphelins, petits garçons uniquement, et les forme au kung fu ; ils peuvent devenir moines s’ils le souhaitent), qui font leur lessive, des travaux de terrassement, des maths ou de l’anglais (avec les touristes de passage : c’est ainsi que je me suis retrouvée au tableau noir, à faire grincer la craie, un régal, à voir l’enthousiasme de ces enfants, qui reçoivent l’anglais comme un cadeau).
16-18h, nouvel entraînement. Dîner. A 19h il fait nuit, on prend son courage à deux mains pour se laver les dents dans l’eau glacée (j’ai attrapé des engelures, une première, dont je suis tout juste en train de venir à bout…).
Discussion (en chinois – autrement dit, écoute fascinée de la discussion ambiante, en chinois…) autour d’un petit feu de charbon devant Boudha.
20h : pourquoi ne pas aller dormir, reposer ces yeux que, à défaut des jambes, j’ai encore vaillants, et qui ne demandent qu’à se garder de la lumière tiraillante de la bougie sacrée ?…
Je pourrais en parler sans interruption, cette expérience m’a vraiment marquée. Après cela, j’ai trouvé une professeur de tai chi à Dali, et en ai fait deux fois par jour, le matin à 7h30 et en fin d’après-midi, au pied des remparts de la ville. Le reste du temps, je dessinais, j’apprenais le chinois, je marchais en montagne et l’on se retrouvait au bar le soir au coin du feu, moi pour la première partie de soirée, le bâillement n’étant généralement pas loin – j’avais fait le choix du lever de soleil, et ne le regrette pas : jamais vu autant d’aurores colorées en trois semaines…
Pattaya-les-Bains, ou la dure replongée dans les bas-fonds de l’humanité…
La diversité est l’essence du monde, mais malgré tout le choc fut rude ces derniers jours en débarquant à Pattaya, la plage la plus proche de Bangkok, où je voulais profiter d’un peu de calme et d’air frais en attendant le vol pour l’Australie. Je n’ai pas tenu jusqu’au bout, suis revenue dare-dare à Bangkok, qui du coup s’offre sous un jour paradisiaque.
C’est simple, je ne savais plus même où mettre les yeux en marchant dans la rue a Pattaya, source d’inspiration intarrisable pour tous les Michel Houellbecq du monde, un Béton-sur-plage comme on sait en faire de très beaux chez nous aussi, mais où gravitent, entre les Seven-Eleven, les Kodak-shops et les « Condotels » (concept que je ne connaissais pas, il pourrait s’agir d’un banal hôtel, mais pour moi il ne pouvait qu’évoquer une sorte de « condom-hotel », tout à fait à propos dans cet environnement balnéaire particulier), des dizaines, centaines d’Occidentaux libidineux entourés comme des mouches par de jolies Thaïlandaises au nombril dévêtu, montées sur des plateformes (serait-ce l’inspiration du titre de M. Houellbecq ? Je lance un avis à qui l’aurait lu et pourrait m’éclairer).
C’est sordide ; je n’ai cessé de me demander pourquoi, après tout, cet endroit me mettait si mal à l’aise, et surtout me rendait si triste (à en pleurer, le soir dans ma chambre, devant Fashion TV, pour un peu de rêve et de musique…). En fait, contrairement aux quartiers roses japonais (comme Shinjuku, à Tokyo), leurs love-hotels et bars à hotesses, ce n’est pas l’organisation du plaisir que l’on trouve à Pattaya. Nul plaisir, nulle catharsis joyeuse et orgiaque. C’est la violence aigrie d’hommes venus chercher ce que la société leur fait miroiter et sur lequel ils se sont focalisés, à savoir une femme parfaite, tout sourire et dévotion ; et de femmes pensant trouver là ce que la société leur fait aussi miroiter : des portefeuilles, un nouveau sac à main, l’exil. Les hommes ont des grincements de dents qui ne dessèrent pas ; les femmes, des sourires dont on sent la fausseté jusqu’au bout des dents. Les regards se fuient. Pas un geste, pas un regard de tendresse.
Pour me changer les idées, j’avais droit à l’autre moitié de la population plagiaire de Pattaya-les-Bains : des couples retraités allemands, hollandais ou danois, dont le seul signe évident de distinction de la première catégorie d’énergumènes est la femme qui les accompagne – le tatouage, la graisse rosie et la démarche alourdie n’étant plus des signes suffisants de distinction.
Si j’avais senti la solitude au cours de ces six derniers mois ? Jamais, avant Pattaya. Ceux à qui je parlais, dans une tentative désespérée de rompre le silence – qui ne me gêne pas en principe mais devient lourd dans des situations de malaise, où justement on aurait besoin de parler – ont tous eu droit à des versions différentes de ce que je faisais ici : pas question de dire à quiconque que j’étais seule… je ne me sentais même pas tranquille.Bref, Bangkok is paradise on earth then ! J’en profite encore deux petites heures, avant de passer « down under« , là où les gens marchent sur la tête et où l’eau tourne en sens inverse dans le syphon de la baignoire…
Je vous envoie des brassées d’orchidées, la gaieté des temples de verroterie thaïlandais (qui jamais n’atteindra, à mes yeux, la gaieté authentique des Chinois ! Ah, les Chinois… Ils me manquent. Heureusement il y en a un paquet émigré en Australie, paraît-il.), plein de sourires et du soleil (point trop n’en faut… comme c’est bon l’hiver et la sécheresse !). Et espère que vous vous portez tous avec bonheur et santé.
A très bientôt,
Pauline
PS: je me suis trompée dans l’adresse du site de mon amie Isa, la dernière fois : c’est www. izacrea.com, avec un « Z » donc comme « Zorro ». Et mon frérot préféré a enrichi le site www.fraisse.biz de nouvelles photos, mises sur cédérom par mon chéri, Daniele. Mille mercis et bisous à tous les trois !