Sent: Wednesday, September 24, 2003 6:16 PM Subject: From Japan to China…
Konnichiwa ! Bonjour !
Quinze jours passés et déjà je me prépare à passer à un autre exotisme, encore quelques bonnes surprises et situations déconcertantes, je pense, en Chine… J’ai acheté le billet de bateau, départ vendredi midi de Kobe, arrivée à Tianjin (à une heure de Pékin) le dimanche en début d’après-midi.
Ce sera une « single tatami room » : on prend vite goût au tatami, je suis déjà convaincue d’y venir en rentrant. Vive le futon ! et vive les chaussures déposées à l’entrée : les Japonais ne font pas le ménage, et qu’est-ce que c’est propre…
Splendeurs et misères du tatami
Les chaussures, comme les baguettes, les mouchoirs, les gestes, font l’objet de toute une codification. Heureusement, les Japonais sont plutôt tolérants envers ces clowns de « gaijin » (étrangers), toujours prêts à se comporter de travers… Pas question d’aller se moucher en public (et pourtant on vous distribue à tour de bras dans la rue des paquets de mouchoirs en papier, l’outil numéro un du marketing de proximité, ici. Ranger soigneusement le paquet dans sa poche et continuer à renifler proprement…).
Pour ce qui est des chaussures, on prend vite l’habitude. Le tout est de ne pas oublier, en sortant des toilettes, de laisser en place les sandales spécialement réservées à ce cagibi : ressortir sur le tatami affublé de ces chaussons impurs serait pour le moins mal approprié… Le tatami est un espace sacré. Je m’assouplis d’ailleurs les genoux à force de le pratiquer, dans les restaurants du soir en particulier, où la chaise de bar des troquets à nouilles cède le pas à la table basse, sur le dénivelé du tatami au pied duquel s’alignent les paires de chaussures.
Kyoto, parcours initiatique
Je suis actuellement à Kyoto, la ville aux milliers de temples, et effectivement c’est saisissant, ils se cachent partout, se découvrent à profusion au hasard de la moindre balade ; sans compter les mini-temples, petits abris où sont protégées des statues d’enfants en pierre (pour demander protection des enfants, et en souvenir des enfants morts), avec des offrandes (verres de thé, de sake, biscuits, fleurs…).
Je suis chez une amie franco-japonaise, Cécile, qui me fait partager sa vie kyotoïte (elle y a vécu plusieurs mois, à deux reprises) et m’éclaire sur les innombrables questions que je ne cesse de me poser sur ce pays.
Ce matin, lever à 5 heures, marche jusqu’à un temple zen pour une séance de méditation, à 6 heures. Za zen : méditation assise (un défi pour les genoux, mieux vaudrait peut-être une bonne séance de yoga auparavant ; sous peine, comme moi, de se tortiller douloureusement en redoutant de saboter l’état de méditation des voisins…). On enchaîne sur un petit-déjeuner zen, thé vert, riz dans son eau de cuisson avec des pickles multicolores, au rythme des indications et des incantations du moine qui dirige la cérémonie. Il fait ensuite une lecture, qu’il commente. Je m’applique à imiter soigneusement les autres, mais ne manque pas d’être complètement à côté de la plaque : sandales alignées en vrac devant moi, veste posée en ce qui semble un tas grossier comparé au pliage de rigueur, comble de rectitude et de discrétion…
Cécile m’initie également aux mets étranges que je ne me lasse pas d’étudier (avec stupéfaction), et d’essayer (non sans stupeur à nouveau…), au supermarché. Ici, le soja est roi : en graines (fraîches ou fermentées, natto, dont les moisissures promettent santé et longévité), en pâte, miso, en sauce, en fromage, tofu (il est sublime, ici ; je vais me mettre en quête de son équivalent à Paris !), etc. On mange beaucoup d’algues, de pickles (à base de radis, courge, champignons, etc., marinés dans le sake par exemple ; délicieux, je les essaie sur tous les étals des marchés où sont offerts des échantillons…), de champignons, de riz, de haricots (rouges, en dessert). Des pâtes aussi, udon ou soba. Impossible de tout décrire, la diversité culinaire du Japon est un vaste champ et reste, pour moi, encore à explorer ; il faut couper cour à la légende qui veut que les Nippons ne mangent que des sushis !…
Les fruits et légumes sont littéralement hors de prix, de l’ordre de 1,5 euros la pomme ou la « poire japonaise »… On s’en fait des cadeaux, la palme revenant au melon (une cinquantaine d’euros), un cadeau que l’on reçoit avec force sourire, et que l’on s’empresse d’aller réoffrir, à temps, espère-t-on, avant l’amollissement des chairs… En fin de course, le digne fruit n’est plus bon à rien, pas même à être dégusté. De quoi méditer sur la fonction du cadeau : « plaisir d’offrir », sans aucun doute ; « joindre l’utile à l’agréable », reste à voir. Sans parler de la joie de recevoir…
A l’image de Tokyo, des villes en sons et lumières
Première étape sur le parcours qui m’a menée jusqu’ici, depuis Paris : Tokyo, ou le choc culturel. Tentaculaire, 34 millions d’habitants en incluant la conurbation (notamment Yokohama), mais tout se passe dans le calme et dans l’ordre. Les escaliers du métro se montent d’un côté, se descendent de l’autre (on a vite fait de comprendre quand on est à contre-courant…). Le Japonais ne va pas vous injurier si vous avez frôlé son pied : il va plutôt s’excuser. Il faut gérer également sa trajectoire sur les trottoirs, partagés avec les vélos. Le vélo est roi, j’ai testé et apprécié à Kyoto ; c’est pour le piéton que les choses deviennent périlleuses…
Dans toutes les villes, un brouhaha inextricable de haut-parleurs (militants de partis politiques, vendeurs ou racoleurs de boutiques…), de musiques ou cris d’oiseaux électroniques au gré des changements de feux tricolores, de musique tout court, jusque dans les musées parfois.
Chaque ville a ses quartiers de néons, illuminations verticales et clignotantes – des Broadway à échelle distendue, cités perpendiculaires où l’on vit suspendu derrière ces écrans de lumières ; et ses vieux quartiers, maisons de bois traditionnelles encore parfois, mêlées aux immeubles d’habitation plus récents, jamais très élevés, tremblements de terre obligent. Ce qui me frappe à chaque fois, c’est le contraste entre les grandes avenues et les rues qui en partent, à l’arrière, soudain étroites, sinueuses, pleines de fils électriques, de vélos, plantes vertes et distributeurs de boissons. Un distributeur tous les 15 mètres en moyenne, boissons fraîches et boissons chaudes, on n’est jamais en passe d’être assoiffé au Japon ! Et l’idée ne viendrait probablement à personne, ici, d’aller fracasser le distributeur…
Le souffle coupé du Mont Fuji
Après Tokyo et Yokohama (célèbre pour son Chinatown et son skyline en bord de mer), direction le Mont Fuji. Et là, malgré les hésitations journalières du climat en cette fin de saison « officielle » (les Japonais sont très à cheval sur les dates d’ouverture et de fermeture des saisons dédiées à telle ou telle activité), je n’ai pas pu rester en bas à regarder ce cône mythique, qui tire sa paix à lui comme une couverture jusqu’à la pointe écornée de son sommet, haut dans les nuages. Je suis finalement partie le grimper, une expérience que je ne suis pas prête d’oublier : pleine lune, coucher, puis lever de soleil, fin de l’ascension à 5 heures du matin pour aller découvrir le cratère, cerné de petits temples shinto improvisés (c’est avant tout une montagne sacrée ; sommet d’une nature, quoi qu’il en soit, tout entière sacralisée, partout respectée et célébrée), une vue vertigineuse sur la vallée verdoyante en bas, sous les pentes raides de roches volcaniques rouges, grises et noires… Une semaine de courbatures après ça. Mais la peine était largement compensée !…
Vie alpine au Soleil Levant…
Poursuite du camping dans les Alpes japonaises, au Nord-Ouest du Fuji, entre Nagano et Takayama, une région de onsen, des bains publics établis dans des sources chaudes naturelles à l’odeur souffrée, le soin parfait des courbatures… On prend soin de se laver avant d’entrer dans l’eau, et pas une fois dedans, une autre erreur attendue systématiquement des gaijin, et pour laquelle on sera moins tolérant… Avec le camping j’ai pris un rythme solaire, coucher 21h (surtout quand les piles de la lampe torche vous lâchent de manière impromptue, l’un des classiques du camping auxquels on ne semble pouvoir échapper, avec l’ondée subite nocturne et le gravier mal placé…), lever 5-6 heures. Le camping est déjà en effervescence à cette heure-ci, cela sent déjà le BBQ un peu partout entre les arbres. Pays du soleil levant…
…et redescente plus avant dans les contrastes du Japon
Après Takayama (et une nuit d’auberge de jeunesse dans un temple !), Kanazawa, une ville bien préservée des destructions de la guerre de 1945, ailleurs nombreuses et qui nous privent dans nombre d’endroits de ces restes de châteaux, de murailles orgueilleuses, d’ombres de rois et de samouraïs, et aussi de ces maisons de bois sombre, de ces quartiers d’artisans où l’on voit encore aujourd’hui, à l’occasion, un homme travailler et vivre aux côtés de sa voiture, derrière une vitrine. Il y a aussi à Kanazawa un jardin censé être l’un des trois plus beaux du pays (les Japonais ont ainsi leurs trois jardins phares, et leurs trois paysages incontournables : objets de pèlerinages, tout au long des vies nipponnes, et sources de nombreuses photos et commentaires), et il est assez impressionnant, il faut bien le reconnaître.
Mais ce n’est rien encore à côté de Kyoto, tellement riche de contrastes, mariant, au calme vert de ses faubourgs immédiatement très ruraux, sa fougue de grande ville, mêlant, à ses temples par milliers, ses quartiers dédiés aux bars de nuit, au bruit des jeux électroniques. Néophyte béate, je me suis laissée étourdir par sa gastronomie traditionnelle (un marché immense et réputé, où chaque étal est aussi arrangé qu’un patchwork ou une mosaïque), sa gare de verre et de métal, la surprise de découvrir les étudiants répétant le hip hop devant l’université, celle d’assister à une démonstration publique d’arts martiaux dans un budo, le lieu dédié à ces jeux de poings, d’épées et même, aujourd’hui, de mitrailleuses d’opérettes ; par la technologie omniprésente, et paradoxalement les maisons sans salles de bains… (nous avons ici un lavabo, pas d’eau chaude, et suivant la coutume, rejoignons le sento, le bain public, où l’on va pour se laver et profiter des potins du coin – sauf quand on ne comprend rien…- au bord des jacousis… bien mieux qu’une banale salle de bain, en somme !) ; par les portiques shinto, orangés, qui accrochent partout le regard et guident de véritables pèlerinages dans les collines.
Premier contact avec l’Asie, premiers dépouillements de la « part d’Occident »
Je fais des centaines de kilomètres à pieds, je devrais mettre une bougie au temple sur l’autel du Vieux Campeur et de Décathlon grâce auxquels j’ai, certes, un look de touriste en chaussettes blanches – on me demande sans cesse si je ne suis pas américaine… Au doux nom de « France » dans ma réponse, je vois les visages s’éclairer, les lèvres s’ouvrir sur des bredouillements de « Paris », « marvellous« , « beautiful« … Un début d’identification, car ce qui est certain, c’est que je suis avant tout ici « occidentale » : il n’y a plus de nationalité qui vaille, et moi-même d’ailleurs je tends à estomper les particularismes, finissant, à force de baigner dans ce statut d’étrangère, par me parler en anglais… Ce n’est qu’aux rares occasions d’une bouchée de vrai pain que je sens mes origines me chatouiller de l’intérieur… -, mais aussi une forme du tonnerre, pieds et dos intacts, pas de coups de soleil (une bougie à Saint Ecran-Total) mais la mine recolorée, en voie de sinisation peut-être (les Nippons, eux, se gardent bien des rayons du soleil !), sous l’effet nouveau de vivre en plein air, dehors par tous les temps !… Et dire que c’est parti pour un an !…
Demain je pars deux jours sur la côte voir le « Pont vers le ciel », une arche de sable en bord de mer, l’une des trois merveilles naturelles célébrées au Japon. Un peu de camping à nouveau, pour retrouver la nature avant de revenir une soirée à Kyoto, puis départ pour Kobe, attraper le ferry.
J’ai hâte de voir qui peut bien prendre ce bateau… Beaucoup de Chinois, je crois, car c’est finalement, semble-t-il, bien moins cher que l’avion. Je suis contente en tout cas de ces deux jours de pause maritime, qui vont me permettre de méditer sur cette première découverte du Japon, et de me préparer à plonger dans la Chine, un autre tourbillon d’idéogrammes, de sons, de couleurs incompréhensibles, de sourires et de patience. Car c’est fou ce que l’on se fait tout naturellement patient ici… Peut-être est-ce du fait de tout ce temps dont je dispose, mais la durée n’a plus d’importance. Demander un renseignement, c’est attendre 15 minutes la réponse, mais c’est comme cela, après tout, et pas si mal : on a le temps de savourer, de s’émerveiller du dévouement des gens, qui se mettent en quatre pour vous aider alors qu’ils ne comprennent rien à l’anglais, ni au plan anglophone que vous leur tendez… De toute façon ma montre m’a lâchée. J’en trouverai sûrement une « made in China » ; ou j’abandonnerai l’usage du cadran, pourquoi pas après tout…
Je pourrais continuer comme ça longtemps, mais je m’éloigne là de l’idéal nippon de synthèse, d’essentiel, de traits qui, simplement brossés, pourraient suggérer un monde… Si jamais vous n’êtes pas encore endormis ni saoulés par ces lignes plus longues que prévu, je profite de la dernière pour vous dire que je pense fort à vous, que je suis heureuse de partager cela avec vous, et que je vous embrasse. J’espère que vous êtes vous aussi en pleine forme et j’attends des nouvelles de vos découvertes personnelles,
Pauline