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Carnet de voyage du Pérou !!!
Savez-vous parler « guanxi » ?
Comment dit-on « facebook » en chinois ? Guanxi… Ou l’art du networking. Certains disent avoir un bon karma, d’autres une bonne étoile, ici on dit avoir un bon guanxi : un paquet de relationnel, une toile épaisse et bien entremaillée qui vous tient fermement en place dans la société.
Impossible de rien faire sans guanxi. Guanxi s’occupe de vous, guanxi vous prend en main, guanxi vous présente, vous introduit, vous donne un visage, provoque les poignées de mains, les sourires, les cadeaux et le lèche-bottisme. Guanxi vous protège, terrifie les attaquants, elle a une armure et un sabre comme dans les légendes médiévales de l’Empire, rien ne peut attaquer guanxi. En surface, guanxi a un paquet de cartes de visite en poche, qu’il faut donner des deux mains, toujours, et recevoir de même. Un geste de la tête vers le bas, ou au moins le regard, pour accompagner. Guanxi aime trinquer aussi, « ganbei ! » si l’on doit vider le verre, « he ! » si l’on doit simplement boire. Inutile de se regarder dans les yeux, les Chinois n’ont pas peur du mauvais sexe, ils sont superstitieux mais point quant il s’agit de guanxi… Par ailleurs le sexe comme priorité nationale est une particularité qu’ils laissent aux Français, papes internationaux du « laman », alias « romantisme » (voir article précédent sur ce dernier sujet).
Guanxi, donc, peut vous mener très loin en Chine, ou très bas, c’est comme on veut. Le compère de guanxi est « pengyou », l’« ami », qui est toujours dans les parages et surgit facilement : dans une bouche nouvellement rencontrée on ne tardera ainsi pas à entendre clamer « pengyou, pengyou ! hao pengyou ! », ce qui signifie que vous êtes, ça y est, l’heureux ami tout juste déniché, ou, le cas échéant, que la personne mentionnée juste auparavant s’avère justement, oh surprise, être un grand ami. Grand ami signifie carte de visite dans le porte carte. Qu’on n’aille pas s’y méprendre, chose pourtant facile pour nous autres Européens, lents à la détente il faut bien le dire, pour qui il prend plusieurs mois, voire des années parfois, pour consolider un « ami »… Je ne suis pas sûre qu’il existe la distinction, en chinois, entre « copain » et « ami », voilà une recherche linguistique à explorer plus avant…
Guanxi est sexuée. Il y a le guanxi des femmes, et celui des hommes. Les femmes sont dotées, dans ce domaine-ci comme dans d’autres, d’un régime spécial. En tant que représentante de la gent féminine (mais l’interlocuteur n’avait pas saisi qu’il y avait une nuance entre femme occidentale et femme chinoise, nuance peut-être même tracée à l’encre de Chine non diluée, si vous voyez ce que je veux dire en termes de contraste…), j’ai eu droit à une approche guanxistique toute caractéristique, que j’ai su apprécier à sa juste valeur, en gardant presque mon calme…
Je me suis lancée récemment dans un business de cartes postales à base de dessins, ce qui m’a d’une certaine façon rapprochée de la Chine, d’une autre face de la Chine en tout cas, fort intéressante elle aussi, après le volet enseignement et pédagogie. L’affaire m’a menée à développer force guanxi, j’ai pu rencontrer un paquet de gens, échanger en chinois petit nègre comme en anglais ou en français avec une population variée, ce qui est toujours quelque chose qui m’enchante, tout autant que les longues heures de travail solitaire et de silence emmuré… Au cours de ces échanges, j’ai pu rencontrer un énergumène hautement guanxitique, le show business local, armé de deux portables et promenant longuement son regard, au-dessus d’un journal déplacé partout sous le bras, dans les cafés occidentaux, à la recherche sans doute d’un guanxi plus international, ou plus féminisé qui sait…
L’énergumène a attaqué par le volet facile, l’amour de l’art, le goût sans fin des dessins, des couleurs, du trait, absolument fabuleux. Il a cependant mêlé à sa palette, indubitablement, des faux-pas tout naïfs et plutôt pas très internationaux, pour le coup : le côté paternaliste et mécène, le goût du voyage à deux en voiture − il allait d’ailleurs, sans même que je ne lui ai rien demandé, me fournir sans problème un permis de conduire chinois, grâce à un guanxi de ses amis ; s’y croyait déjà… −, le désintérêt pour le business, ayant franchi la cinquantaine, la fortune et l’effort ; l’étonnement qu’une femme puisse prétendre « travailler » (d’où pense-t-il que sortent les dessins ?), l’étonnement tout simplement qu’elle puisse imaginer avoir des relations purement professionnelles avec lui, sans nulle intervention du facteur « guanxi féminin », alias promotion canapé…
Jamais en deux ans ici je n’avais ressenti une telle rage. Le type était intéressant, il avait, depuis plusieurs années, parcouru le Yunnan et les pays voisins à la recherche de maisons traditionnelles, qu’il avait démontées pierre par pierre et remontées sur un terrain proche de Kunming, devenu studio de cinéma en plein air, louable par qui souhaite plonger son film dans une atmosphère nostalgique, la Chine traditionnelle récupérée in extremis et condensée le long de deux rues en carton semi-pâte. Grâce à lui, des maisons du centre de Kunming (qu’il s’agit de venir voir avant la fin de l’été, je pense, si l’on veut saisir encore une miette de ce qui sera bientôt aplani totalement et remonté sous la forme d’un Disneyland presque bien imité…) ont pu être sauvées, elles côtoient désormais des murs de villages et, non loin, des temples du Myanmar et de Thaïlande, dans un joyeux mélange où percent à peine le décalage et le trébuchement bancal, où l’on s’attend à tout moment à voir surgir une carriole défoncée et des haillons dans la brume, où restent collés en fait des restes de posters techniques des tournages tout juste nettoyés.
Voilà qui pourrait devenir l’attraction préférée des touristes occidentaux, en mal de ruines et de nostalgie dans ce pays où la grue et le marteau sont rois, tandis que les touristes chinois se précipiteraient dans « Kunming Old Street » , le Disneyland en préparation, dans lequel on trouvera sans doute, comme à Chengdu, un succédané de culture yunnannaise, compacté de façon fort pratique en porte-clefs, yoyos et gobelets papiers…
Toujours est-il que ce type là a su réveiller en moi la plus grande rage, tout autant qu’il m’a édifiée en matière de guanxi, pas dans le sens qu’il entendait, malheureusement pour lui, sens qui résidait en ses longs discours sur l’importance, pour les artistes, de pratiquer le guanxi, sans lequel ils ne valaient rien ; et valoir quelque chose, n’est-ce pas, était fondamental, il s’agissait d’abord de se faire un nom bien résonnant, comme une caisse sonore, et puis il serait toujours temps après de voir ce que l’on met dans la caisse… Je ne suis même pas sûre que cette dernière préoccupation lui soit montée une minute à la tête, le guanxi en lui-même faisant bien l’affaire après tout. Non, s’il m’a édifiée en matière de guanxi, c’est plutôt en me donnant à comprendre la portée de ce vent de creux qui peut, tout autant qu’il porte, bien entendu, le travail, souffler à en détruire les fondations mêmes, dans ce pays comme dans le nôtre, mais ici avec la particularité d’être officialisé et vénéré comme quelque chose d’immensément respectable.
En particulier, la situation d’une femme en Chine face au guanxi se résume à l’annulation : une femme chinoise, aujourd’hui encore, à part sans doute bien entendu quelques exceptions, notamment dans les milieux branchés et éduqués de Pékin ou Shanghai, ne peut pas refuser une relation avec un « puissant », qu’il ait de l’argent ou du grade, ou les deux. On m’a raconté depuis une histoire intéressante, d’un policier venu draguer ouvertement la compagne chinoise d’un jeune Français, sous les yeux de ce dernier, sous le prétexte qu’elle avait tout intérêt à sortir avec lui étant donnée sa position sur l’échelle du pouvoir ; du jeune Français prenant sa copine sous le bras et disant ses quatre vérités au soi-disant tout-puissant ; et de la jeune femme tremblant de peur, se demandant si ce que son ami avait fait était bien raisonnable…
J’ai vu également un film passionnant sur le sujet, et sur la société chinoise actuelle, présentée sous forme d’échelles et de jeux de pouvoir dans le cadre d’un immeuble moderne tout juste sorti de terre et de béton armé, que je vous recommande : « Curiosity kills the cat » (traduction sans doute en chinglish de l’un de ces proverbes chers aux Chinois…).
La féminité en Chine est une source d’intrigue pour moi, je suis saisie par le contraste entre la participation au travail, y compris aux travaux les plus durs ou physiques, des femmes, leur éducation croissante et égalitaire je pense, et les carcans dans lesquels elles sont prises par ailleurs, la soumission à des croyances ancestrales, ou encore à des situations qui pour nous peuvent sembler paradoxales, le contrôle de leur désir d’enfants, par exemple, réduit à un par famille, allié au maintien d’une peur générale de la pilule, à laquelle on préfère largement, semble-t-il, l’avortement multi récidiviste… Ceci, cela dit, se défend, et loin de moi l’idée de dire que la pilule fait la féminité, ni la santé, cependant il me semble que la capacité à pouvoir allier librement différentes facettes de sa vie peut constituer ce que l’on valorise, en Occident en tout cas, comme une féminité épanouie. Personnellement, entre la perspective d’un avortement bi-mensuel et l’abstinence, je me demande si je ne choisirais pas la deuxième option, quitte à faire une croix sur une facette plus ou moins essentielle de la vie − là encore les civilisations peuvent s’entendre ou se disputer sur le sujet…
Je suis intriguée par les contrastes entre ces femmes « bulldozers », la quarantaine, cinquantaine d’années, goudronnant les routes, marchant les pieds en canard et hurlant dans les bus, et la nouvelle génération d’étudiantes, d’employées du secteur tertiaire, qui semble redoubler d’efforts pour se « féminiser », mais qui pour moi échoue tout aussi lamentablement… Ici comme dans beaucoup de domaines, on applique facilement le vernis extérieur, on s’approprie des codes copiés du dehors, mais on ne réfléchit pas vraiment à ce qui peut provoquer ces codes, ou les annuler. A ce qui peut faire un individu, une féminité. Devenir individu n’est pas particulièrement valorisé, il faut dire, pourquoi donc alors les femmes se lanceraient-elles dans cette recherche personnelle ? En tout cas, elles font des clients parfaits pour les magazines et autres stéréotypeurs professionnels, qui leurs expliquent qu’en combinant la dentelle, les talons, le maquillage et la permanente, elles ont tout gagné.
Il y a tous les cas de figures bien entendu, et les milieux sociaux, lieux de vie et niveaux d’éducation jouent beaucoup, même si je ressens, pour ma part, un malaise général face à cette féminité chinoise. Les textes théoriques sur le sujet pourraient dire que peut-être les Chinoises ne sont pas vraiment dans l’attention à leur plaisir, à leur désir, à leurs possibilités… Dans les campagnes du Yunnan bien sûr on pratique encore le mariage forcé, et toutes autres formes d’arrangements, selon les rites des minorités locales également. Dans les villes il en va autrement, mais l’impression générale qui me vient, des conversations ou des scènes que j’observe dans les cafés étudiants, ou de ce que l’on a pu me raconter, c’est que les femmes semblent toujours en demande, ennuyeuses, frustrées, en attente de quelque chose de la part de l’homme, que ce soit une sécurité financière pour celles de la campagne, ou, pour celles des villes, un monde paradisiaque, l’idéal « romantique » qu’elles se croient en droit d’exiger, le chevalier servant, fidèle, aimant, et pleins d’attentions matérielles… La femme attend de l’homme, mais ne se perçoit pas quant à elle comme pouvant lui apporter quelque chose. Elle se précipite dans le mariage, l’exige même assez rapidement le plus souvent, comme sous un parapluie qu’elle n’imagine même pas elle-même contribuer à tenir. Et inversement, un homme se perçoit nécessairement comme un pourvoyeur convoité d’argent, de voiture, et pourquoi pas de guanxi, comme cet énergumène cinématographique que je citais tout à l’heure… A ce compte là je comprends que tous ils ne tarissent pas d’éloges sur un « romantisme » à la française…
Quoi qu’il en soit, j’ai du mal à établir des connexions vraiment sincères et enrichissantes avec les Chinoises que je rencontre à Kunming, sauf avec certaines venues souvent de Pékin ou d’autres grandes villes « de l’Est », ayant fait le choix d’une vie un peu différente, ayant choisi le Yunnan par exemple au prix de s’éloigner de leurs parents (qui cela dit, dans de nombreux cas, finissent par déménager dans la région pour se rapprocher…).
Il me tarde pour cette raison de reprendre un bain de Paris, d’oublier quelques temps les écarts gigantesques de culture, les niveaux d’éducation aux antipodes, la position d’« étrangère », qui viennent polluer la relation avant tout humaine que l’on souhaiterait toujours avoir, simplement et authentiquement. Les choses ne sont pas si simples, il y a toujours des filtres qui viennent se coller entre soi et le monde, et il faut rester vigilant pour ne pas les laisser s’accumuler…
J’ai donc, ça y est, un billet d’avion en poche pour Paname, j’ai du mal à réaliser, j’ai vidé pour cela les dernières économies de mes dix-huit mois d’école, passées outre cela dans un an de loyer et l’équipement de mon appartement… Je ne laisserai ainsi pas de yuans en stand by dans les caisses du pays, ce qui n’est pas plus mal vue l’ambiance actuelle. J’ai l’impression que la flamme olympique a mis le feu, c’est bien triste selon moi ce qui se passe ces temps-ci entre la Chine et le monde, ce pays qui était en train de s’ouvrir et qui risque de se replier orgueilleusement pour cause de méfiance généralisée de part et d’autre de la muraille frontalière… Quelque chose me dit qu’il fera bon ne pas être étranger en Chine cet été, c’est en tout cas au moins une justification supplémentaire que je me donne pour ce retour, par ailleurs et avant tout choisi et source de grand plaisir… L’ambiance est déjà pesante en ce moment ; je ressens, même très diluée, l’animosité diffusée très certainement sur les ondes, et répercutée dans quelques centres stratégiques, Carrefour par exemple, autrefois ambassadeur du nouvel art de vivre, hébergeur radieux de la nouvelle et vénérable consommation, et aujourd’hui pris sous les jets de pierre, comme symbole du diable étranger… José Bové n’aurait pas mieux fait…
J’ai passé le mois dernier à recevoir des pétitions de toute part, que bien entendu je n’ai pas signées, car j’ai l’intention de rester en Chine quelques temps encore si possible et garde ma boite email de tout cryptage embarrassant, mais aussi parce que je n’ai pas d’opinion tranchée sur la question. Il est, pas très loin de Kunming, un royaume où je crois les jeunes expatriés aux quatre coins du monde ne reviendraient pas nécessairement, même libres, car c’est avant tout la misère et la crasse qui leur viennent à l’esprit quand ils pensent à leur terre d’origine. Pas exactement le son des clochettes sur le toit des temples et le vent des plateaux au coucher du soleil… Ce royaume là est un royaume à subventionner, et il est amusant de voir que personne, à part la Chine, ne s’est encore déclaré pour reprendre le flambeau, à part le flambeau olympique mais celui-ci ne brûle pas trop violemment, et ne coûte rien, si ce n’est le prestige de se voir ériger en défenseur du bouddhisme, des droits de l’Homme et de la pureté folklorique réunis. Maintenant, il est certain que les Chinois ne sont peut-être pas les plus délicats en matière de préservation du patrimoine, respect des cultures locales et communication limpide et pacifiste, et que le guanxi cité plus haut s’applique tout aussi bien sur les plateaux annexes − le guanxi n’a pas d’altitude limite, il vole même très haut, et s’il faut le guanxi aujourd’hui pour travailler au sommet du royaume, eh bien il est à parier que tous s’entendent : que le guanxi soit !… Difficile sans doute de faire du business pour qui « n’en est pas »… Quoi qu’il en soit, tous les points de vue se valent, et les porteurs du drapeau lamaï-pacifistes et les taoïstes réunis le savent bien sans doute…
Je vais rentrer en France, donc, pour quelques mois, et me réjouis, tout autant que ne me préoccupe, du choc culturel que cela va peut-être représenter. Le prochain blog sera peut-être sur la France et les Français, ce peuple étrange et romantique, qui clame en râlant ses opinions et se baffre de baguettes (traduites « Magic wand », by the way, dans l’une des boulangeries modern style de Kunming, à qui revient la baguette d’or du chinglish pour ses créations pâtissières ; j’irai faire un relevé à l’occasion, à l’aide d’un carnet et d’un crayon, car on n’a pas le droit, dit-on, d’y faire des photos… Concurrence oblige : on ne voudrait pas, pour sûr, voir de tels chefs d’œuvre de créativité passer à l’ennemi…)…
Dans les rues de France, donc, il paraît que je vais me trouver un peu au large (ce qui ne fera pas de mal, il devient fatiguant, à la longue, de passer pour un modèle XXL) ; que la place va me sembler vide ; peuplée de gens rapides, cela dit, arpentant les trottoirs comme des fous, râlant d’un sourcil levé contre le passant obstruant la voie ; traversant dans les clous, au feu vert pour les piétons. Il n’y aura pas de vélos sur les trottoirs, il n’y aura pas de poules vivantes dans les filets à commission des gens, tout juste des cuisseaux emballés de polystyrène avec un tampon « bio » dessus ; il n’y aura pas de parapluies en plein soleil (sauf le mien peut-être, car je compte relancer la mode à Paris, en cas de canicule récidivante…) ; il y aura des poussettes partout, ça créera des embouteillages sur les trottoirs, au lieu des porte-bébés à fleurs qui s’embouteillent tout autant dans les allées déjà bouchées ; il y aura des travaux qui s’arrêtent le dimanche, des terrasses qui s’embouteillent, pour le coup, le dimanche, des bobos qui s’ébahissent, le dimanche, devant des bols de nouilles grassouillettes du quartier chinois (et j’en ferai partie, comme j’en faisais partie avant… Quoique, j’opterai peut-être pour l’option salade pour un temps : la nouille, on en revient…), il y aura un climat complètement détraqué par le réchauffement planétaire, dont tout le monde débattra comme un fou autour de bouteilles de vin sur les tables des cafés et des appartements étrangement anciens, tout en roulant en vélo parce que la voiture, c’est dépassé…
Surtout, il y aura le fait que je ne serai plus étrangère, que je m’insérerai dans une population où blond aux yeux bleus, il faut bien l’admettre, ne fait pas tâche, mais où l’on peut aussi être brun, jaune, noir, bariolé, violet ou rouge et jaune à petits pois, comme dirait l’autre, sans que la terre s’arrête de tourner. Il y aura le fait que non, les Français ne sont pas racistes, qu’on arrête de nous faire croire ça, et si certains le sont c’est au gouvernement d’inventer une propagande inverse pour renverser la machine. Car on fait bien croire aux gens ce que l’on veut… Bien sûr qu’en tant qu’êtres humains, nous avons tous le besoin et la tendance naturelle à catégoriser, à créer des mots, des outils pour définir des identités. A noter qu’il y a des couleurs de cheveux, des yeux, des peaux différentes. A rassembler les signes en blocs de signes, les blocs de signes en concepts… Catégoriser, ça sert aussi à communiquer, à apprendre, à transmettre. Mais l’usage que l’on fait de ces mots, après, peut varier du tout au tout. Et avec une utilisation bien rôdée de la télé et de l’école, on peut arriver à tous les résultats… Les Chinois, bien formatés sans doute, ne s’embarrassent ainsi pas d’hypocrisie, ils notent la différence, ce qu’ils ont été éduqués en tout cas à percevoir comme une différence, et la proclament ouvertement, en face de vous : « laowai ! » (« étranger ! »). « C’est formidable », j’ai demandé à l’un d’entre eux qui riait, par-dessus le marché, l’autre jour, alors que j’étais passablement fatiguée, en fin de journée et au bout de dix occurrences déjà de la douce étiquette, « c’est la première fois que tu vois un étranger ? »… « Non, non », m’a-t-il tout gentiment répondu ; c’était juste comme ça en passant, je suppose…
Je voudrais faire le test avec les bébés que l’on voudra bien me prêter en France (j’ai l’impression qu’il en a fleuri pas mal ces deux dernières années…), de les mettre en face de personnes aux visages, peaux, cheveux variés, pour voir s’ils réagissent avec crainte ou étonnement, par hasard. J’en doute. Le bébé chinois, lui, réagit encore plus crûment que ses congénères adultes, les yeux écarquillés, la tête dévissée, de petits cris parfois, et s’il sait articuler déjà, bien sûr, le fameux « laowai ! », qui n’a pas d’âge…
Je crois que j’aurai les arguments pour lutter contre le racisme, désormais, en tout cas une expérience vissée dans les tripes de ce que cela peut être d’être cantonné au faciès d’« étranger ». Même en ayant le beau rôle, en étant l’étranger riche et non le réfugié politique, celui qui « apporte » et non celui qui « vole » l’emploi et « trahit » la culture, on n’en reste pas moins écarté d’emblée, fourré dans un sac avec des milliers d’autres (extrêmement pénible pour un Occidental habitué à voir valorisés sa singularité et son moi tout unique…), jalousé quoi qu’il en soit parce qu’on aura toujours, au final, des conditions de vie différentes et un statut à part, du simple fait précisément de ce que l’on est maintenu dans les cases de l’« ethnie étrangère » (terminologie officielle, spécifiée sur les fiches de la douane et sur les cartes d’identité chinoises, pour les rares cas d’étrangers ayant, pour cause d’adoption par exemple, la nationalité chinoise)…
Le problème quoi qu’il en soit est que le racisme est bel et bien une spirale à double face, un éclair coincé entre deux miroirs, qui se renvoient la pareille car à moins de faire effort de sagesse et de compassion, ou d’être perché sur un nuage d’herbe planante, on a tendance à répondre aux pommes par des pommes, et aux poires par des poires… J’ai toujours l’espoir, inversement, de ce que si je persiste à aimer les Chinois comme des êtres humains à, le plus généralement, deux bras, deux jambes, un cœur et une tête, en tout cas une base commune et essentielle d’humanité, ils m’aimeront et me percevront de la même façon… Tous les espoirs sont permis, en tout cas je sais aujourd’hui que, même en mangeant du riz trois fois par jour, je n’aurai jamais les yeux bridés, ni l’esprit d’un Chinois. Et que ce n’est sans doute pas mon objectif en vivant ici quoi qu’il en soit : plutôt de profiter de cet énorme mur, de ce bloc de difficulté et d’incompréhension, pour tenter de faire sortir le meilleur, ou l’inattendu, de moi-même…
Je regarderai les JO à la télé comme tout le monde, je pense, et souris d’avance à la splendide image qui va ressortir de tout ça… Du Yunnan, on montrera sans doute Lijiang, ses toilettes aménagés tout spécialement pour les touristes, son parcours fléché d’hôtels et de spas, entre les magasins de souvenirs, le nec plus ultra en matière de développement culturel et d’usine à confort, mais on ne montrera pas les cuisines, il ne faut jamais y mettre les pieds, n’est-ce pas ? Il n’est pas possible d’acheter un lave-vaisselle à Kunming, ne l’oublions pas…
Réchauffement analphabétique
La Chine a perdu sa grisaille, sa brume, sa dureté… C’est fini. Place à la couleur, à la multiplication du synthétique, à la recréation, grâce à ce dernier, d’un univers infiniment démultiplié. Ce n’est pas l’Inde encore, mais c’est un début de coloration, celle de Mickey, de Dingo et de l’Occident, celle des blousons nylon et des sacs plastifiés, des néons phosphorescents.
Je regardais « La Môme », hier soir, et me disais que l’Europe des années vingt semblait reposer sur les mêmes clichés de gris, la brique noircie par le charbon, les épaules enroulées de châles dans les traverses moitié éclairées, les crieurs de rue et les charrettes encombrées, encombrantes…
Mais soudain, d’un jour à l’autre comme toujours, semble-t-il, la Chine a perdu ce vernis là, la Chine de la ville en tout cas, celle de Kunming, celle d’une région tirée par le tourisme et la popularité du climat. Je me suis réveillée un matin, et tout était gai, pimpant ; il y avait plus de couleurs que de gris, du moins, c’était assez dépaysant, encore. J’avance sur mon vélo, et je me dis que ce n’est pas la couleur qu’on essaie de mettre, ici, qui reste − celle-ci, celle des bâtiments parfois grimés de rose, des barrières fraichement repeintes de bleu, s’efface trop vite sous la poussière −, mais celle qui s’insinue, malgré elle, en taches sur la vie parsemée des gens, les bouts de plastique qui circulent partout, se plaquent sur les choses, enrobent les épaules, désormais, à la place des châles.
Voilà le rythme auquel avance la Chine, j’ai du mal à suivre, j’ose à peine fermer les yeux, de peur de les rouvrir sur une autre étape, en ayant raté les échelons…
Le pain est passé à cinq yuans le paquet, il était à trois quand je suis arrivée, est vaguement passé par le quatre à un moment donné, mais est sans doute déjà en route vers six, il est temps de songer à en revenir aux nouilles… Ou aux pattes de poulets, puisqu’un nouveau magasin s’est ouvert il y a quinze jours en bas, où l’on se rue (ou peut-être est-ce qu’on y « fait la queue »…), il faut dire que les illustrations étalées sur les murs sont pour le moins appétissantes…
Voilà, j’ai donc laissé la Chine de côté un mois à peine, et j’ai laissé échapper le fil trop rapide du rouet, je suis rentrée émue, comme à chaque fois que m’a déjà été donnée l’occasion de quitter, puis de retrouver, le territoire, puis étonnée, de nouveau. Dans une sorte de respect infini pour cette Chine énorme, que l’on ne semble, en rentrant par la terre, pénétrer que par un bout, comme une épingle qui rentrerait dans une fesse de chair, à l’insu de tout mouvement, sans modifier rien de l’épaisse, placide forme, qui l’avalerait, et poursuivrait sa route, roulant, étonnant, séduisant par sa rondeur, sa fierté, et son indifférence.
Arrivant du Laos, tout de suite j’ai été sous le charme de la modernité déglinguée. Les portables tonitruants, plus grésillants encore que la sono du bus, dans leur effort pour surpasser de bruit leurs voisins sur-actifs eux aussi. La force du béton, pour ériger la puissance, la solidité, et se perdre aussitôt en ruissellements désespérés, en formes tout juste carrées, mais de l’intérieur, rongées d’informe. Les vitres bleues… Celles de mon appartement, que j’allais retrouver, mais surtout celles de milliers de petits cubes, à travers la campagne et les villes, affirmant leur présence d’un bleu coupant de méthylène, quand tout autour inviterait au bois, au brun, et à la douceur fondue de la terre… C’est ce que font les Laos, les Thaïs, fondre l’habitat dans l’environnement, mais en Chine on découpe, et on remplace. On découpe des carrés, et on pose dedans des cubes. Le haut, le bas, la gauche et la droite, après tout cela suffit pour définir un espace, et un habitacle…
J’étais à peine remise d’une journée de vélo dans des villages de huttes, autour de Luang Namtha, au Nord du Laos, que l’envie m’a prise de rentrer en Chine, et au détour d’une rue, le lendemain matin à 7 h30, un bus est apparu, bardé de caractères chinois. Aussitôt arrêté, aussitôt rejoint, j’étais en Chine déjà, on me pressait à grands moulinets de bras et sourires enthousiastes de monter à bord, pas de problème, foin de la gare routière, des tickets à tamponner dans l’ordre régularisé, quand il y a de la place, on vend : tout est possible en Chine, du moment qu’il y a du business à la clef… J’avais donc rejoint la grande famille, c’est le sentiment que toujours j’ai, dans ce pays, les gens ne se connaissent pas, mais à peine rassemblés pour un court moment dans un espace confiné, ils se connectent joyeusement, au son de leurs mp3, mp4 collectivement partagés, et de leurs téléphones eux aussi gaiment mêlés à la partie, et chaque nouvel arrivant est un ajout supplémentaire de joie, et de fierté. Ah, ça y est, on est chez nous… On peut cracher ; on le pouvait pourtant auparavant : le Laos borderline est une terre de crachat elle aussi, mais tout de même on crache mieux ainsi, de la fenêtre de ce bus, enclave de territoire roulant sur les plates-bandes voisines, et rejoignant la mère patrie…
Les odeurs… Les odeurs m’ont submergée d’émotion, combien j’avais aimé ce Laos propre et calme, vide où ne flottent que le fumet du riz gluant, la noix de coco et le durian, mais combien j’aime les odeurs de la Chine… Un mélange indéfinissable, il faudrait un nez, un professionnel de la parfumerie pour détailler la composition de cette moxibustion, de ce fumet complexe-ci. Le charbon − et pourtant il disparaît à grand pas ; les détergents que, malgré tout, on doit bien employer quelquefois, dans un espoir d’obtenir une propreté fugitive et toujours réinventée ; les soupes grasses, les bouillons où flottent tant de choses, les entrailles bouillies sur les trottoirs, dans les échoppes ; le flot des usines, celui des échappements des voitures, des camions roulant de mécaniques ; les vêtements et cheveux parfois lavés, parfois pas, la fibre tissée qui condense le reste d’une façon toute particulière ; les balais mous, contre les arbres, qui en font autant ; l’huile, dans la boue, peut-être est-ce elle qui capte ainsi les odeurs, et les restitue à qui passe : n’est-ce pas la matière grasse qui retient les parfums ?
Et les toilettes… Les fameux toilettes chinois, il faut les voir pour y croire, il faut prendre le bus de nuit, traverser les aires semi-nocturnes où un vieil homme veille, vingt-quatre heures par jour, penché sur sa pipe à eau, à moitié sceptique, attendant sans doute la gamelle de ses repas sortie de quelque part, sur la route ou dans les bois alentour ; il veille, dans un ballet de camions, sur un trou sombre que l’on appelle toilettes, quelque chose d’indéfinissable autrement, qu’il faut rejoindre à la lueur faible d’une ampoule, et à la force de l’instinct, ou de l’odorat…
La Chine parfumée. Ce pourrait être une installation, un projet démentiel, ambitieux, comme celui d’emballer la Tour Eiffel de rubans, ou de cerner un pays d’un mur cyclopéen… Imaginer des diffuseurs de parfum, sur les pylônes des villes, à côté des caméras de télésurveillance… Ou bien, plutôt, représenter ces odeurs de la Chine, d’une façon ou d’une autre, car pour moi il n’y aurait rien de plus triste que de les perdre, que de voir gommées ces odeurs, comme on gomme d’autres espèces gênantes de touches « déplaisantes », les trous dans le sol, les pompes à relents, les vélos rouillés, les étals débordants trop des murs… Les odeurs ne se prêtent point à la nostalgie, car on n’a pas conscience d’en être baigné. Aussitôt quittées, aussitôt oubliées… Mais quelle variété, aussi, et quel inégalable renouvellement…
M’a frappée, aussi, l’échelle des choses : du Laos à la Chine, les mêmes hévéas, la même culture partout déployée, vouée à couvrir, à déraciner, si cela est possible, le pavot chéri des lieux, mais d’un côté à l’autre d’une ligne que l’on appelle la frontière, passée de bosquets parsemés dans la jungle, à lignes de rangs infinis, épousant de leurs courbes des collines entières, des coteaux tridimensionnels. La jungle est mise au pas, sa mousse tombée du ciel s’arrête sur des plantations rayées, des pans de terrain rayés d’alignements impeccables, des troncs eux-mêmes rayés, en serpentin, pour laisser couler l’or, la sève dont on fait les pneus, et le latex…
M’a amusée, plus qu’auparavant, la carrure épaulée des Chinois. Sous la chaleur, sous l’hévéa et le cocotier, les Laos porteraient volontiers des t-shirts, des chemisettes, des sarongs ; les Chinois, eux, ne se défont jamais de leur veste épaulée, râpée, tramée, dégingandée à force de se soulever au-dessus d’épaules inégalement rabaissées, elle leur donne une allure particulière, la carrure, une fois de plus, de ceux qui se posent, avant tout, sur la nature ; posent des carrés sur les ronds, l’alliance de la terre et du ciel, la géométrie non contradictoire des angles brisés, et des courbes… Pas très loin derrière, les carreaux de céramique, la fameuse terre vernissée, découpée, des fonds de piscine, sur les murs rhabillée. Le fond blanc de la Chine, le damier maculé de pions tachés. Un milliard d’hommes, et combien de petits carrés mouchetés ?…
J’étais partie pour chercher d’autres formes, d’autres rondeurs, la rondeur permise par la chaleur, le laisser aller des épaules, justement, libérées des ficelles du froid, et j’avais atteint un univers paradisiaque, à Koh Tao dans le Sud de la Thaïlande, où tout peut fondre d’aise, le cerveau, le dos, les orteils… Dix jours dans ce paradis conçu juste comme on attend le paradis, avec l’air qui vous soutient pour que vous n’ayez plus besoin de marcher, l’eau qui vous porte sans que nager s’impose, les poissons qui vous bécotent la surface… On se baigne dans l’eau, on baigne ses yeux parmi les nageoires et les plantes, sortis bien au-delà des limites de l’imagination ; le cerveau quant à lui baigne dans un nuage sonore, béat, ne comprenant rien, que le ballet à peine saccadé des « k » d’une langue créée tout exprès pour ce lieu : bikini, kokonut, kokakola ? ok-kay !! hamak, taksiboat, tuktuk, krème solaire… gecko ? barbekue, koup de soleil… A part quelques intrus, comme paréo ou encore bungalow, le vocabulaire se konfine dans cet espace kakaoté, roukoulant sous les kokotiers, ne sachant plus trop si les oiseaux eux aussi kakètent ainsi, ou si c’est nous, c’est notre oreille qui a réduit sa fréquence, et ne kapte plus que le krépitement allongé des « kaaaa », sous l’intense degré de préoccupation où elle se trouve…
Juste avant d’avoir atteint l’état de fonte ultime, le Nirvana klimatique, ékologike et gymnastike, je me suis dirigée à nouveau vers le Nord, dans l’idée de rejoindre le Laos, par l’une de ses portes ouvertes sur la Thaïlande. J’avais dans l’idée de passer voir un ami thaï, dans la belle ville de « Roi », m’écrivait-il, à quelques longues encablures de Bangkok. Après vingt-quatre heures de voyage depuis mon île paradisiaque (car, selon une pensée bien répandue, le paradis se mérite…), j’ai atterri, par la magie d’une péripétie linguistique et sonore là encore, dans la bonne ville de Loei, où je n’avais pas d’ami thaï, mais n’allais pas tarder à avoir un certain nombre d’observateurs, aussi curieux presque que des Chinois, et faisant force usage de leur « farang ! », la traduction locale du concept de « laowai ». Il s’est avéré que mon ami se trouvait, quant à lui, à Roi Et, à trois cent kilomètres au Sud-est de là, et je me suis donc armée de mon phrasebook Lonely Planet pour explorer seule cette bourgade, pas mécontente en fait d’avoir l’occasion de me frotter un peu à la Thaïlande profonde, et au sentiment d’analphabétisme complet que je commençais à perdre, à force d’efforts sino-linguistiques, en Chine…
Après cet intermède exploratoire, j’ai rejoint, enfin, Vientiane, découverte pour la deuxième fois, et cette fois avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. C’est bel et bien une capitale d’Etat, il faut s’en persuader, et de l’idée de capitale, on dirait que Vientiane s’acharne à ne garder que le côté para-culturel : le raffinement, l’approvisionnement en délicatesse, les beaux arrangements urbains et paysagers, les centres culturels et linguistiques… Tout l’apparat dont aiment bien, il faut dire, se vêtir les Français, à l’inverse des Chinois, qui font des capitales provinciales douze fois plus volumineuses, concentrant l’abondance et un choix élargi de produits manufacturés, mais cherchant peu, au-delà, à souligner leur présentation de « capitale », capiteuse et capitonnée… Vientiane avait, par-dessus le marché, accueilli peu avant un sommet de la francophonie, et l’on avait sans doute, pour l’occasion, redoré son blason colonial, son merveilleux passé de ville douce à accueillir l’étranger et sa langue barbare…
Précisément, j’ai été particulièrement séduite par le charme de ses villas ex-coloniales, fermées sur leurs volets comme sur des paupières endormies, dans les jardins desquelles poussent des pylônes électriques, et des lianes dignes du Livre de la Jungle. Au contraire de Luang Prabang, dont on a retapé la moindre planche du passé avec un art de la restauration dont les Chinois pourraient aussi avoir à imaginer, un jour, d’apprendre, mais qui pour moi ne dort plus, ne se repose plus comme peut le faire Vientiane. Les yeux toujours ouverts, la sarabande des touristes toujours ininterrompue. Les persiennes sont devenues des écrans pour les cheese cakes, les glacières sophistiquées où conserver les préparations exotiques, pour le coup, des touristes amateurs de spécialités internationales ; les volets toujours ouverts à la pénétration du business, les fentes où glisser le moindre projet, la moindre idée séduisante ou onéreuse à présenter aux venus explorateurs du monde entier. Ceux-ci roulent leurs valises sur le tarmac à présent, plus besoin de sacs à dos pour gagner sa chance d’aller découvrir Luang Prabang… Peut-être est-ce pour cela que ce n’est plus le paradis : trop simple d’accès…
J’ai néanmoins quant à moi baissé mes niveaux d’exigence, j’ai fléchi honteusement devant la perspective d’un nouveau trajet en bus local, de Vientiane à Luang Prabang, devant ce souvenir ému du voyage en simili-caravane, dans cet objet roulant relevé, jusqu’à trois mètres au-dessus du toit, d’excroissances aussi bien alimentaires, qu’animales ou mécaniques, et empli en son intérieur de joyeux lurons en partance pour la fête du Pi Mai Lao, qui m’avait mise, finalement, sur la piste de la Chine ; de ce voyage de dix-sept heures dont je me remémorais à présent la forme, celle des genoux dans le menton et des talons dans le bout des cuisses, sous une chaleur que le moindre arrêt rendait étonnamment insupportable, il y a deux ans à peine… Il faut croire qu’en deux ans j’ai pris des kilos de plomb d’âge, car je me suis précipitée cette fois-ci sur le guichet « VIP », pour acquérir un billet pour un trajet ponctuel, climatisé, et incliné… Shame on me, on ne m’y reprendra plus, mais justement ce voyage a été l’occasion de réfléchir un peu encore à l’utilité même du voyage, à sa recherche, à ses modes et à ce que je voudrais en faire par la suite… L’Asie du Sud-est sans parler la langue, en bus VIP, seule et à dessiner pourrait bien voir sa formule un peu renouvelée à l’avenir…
J’ai rapporté, outre ces petites idées, des dessins, en ligne sur www.paulinefraisse.com, et tout un tas d’imprévus et de rencontres fabuleuses, malgré tout, qui ont contribué à renouveler mon énergie et mon regard, qui, comme les volets des maisons, a besoin d’être ouvert, fermé, raboté, remis à neuf, recoloré parfois, endormi, puis réveillé…
Après Luang Prabang, je me suis dirigée vers Nong Kiaew, petit village posé au détour d’un repli de rivière, et ai opté cette fois pour les sept heures de bateau, au lieu des trois heures de minibus également proposées, on en ressort un peu tanguant, mais ça en vaut la peine… Il s’agit d’une sorte de rafting version « au sec », où le passager touristique n’a rien à faire, qu’à se perdre dans le paysage et le froid du vent sur le blanc des yeux, tandis que le pilote mène un dangereux pilotage, à contre courant sur les rapides, vérifiant d’un coup d’œil à chaque passage que l’arrière du bateau soit toujours accroché à l’avant… Il s’avère que ces deux parties parfois se disent adieu, il faut alors rapatrier l’embarcation sur la berge et inventer une solution de réparation. J’avais déjà eu droit au coup de la panne dans mon précédent voyage au Laos, mais celui-ci s’est avéré tranquille, à peine un roulement à billes à changer sur la roue avant d’un bus, une fois, bien à point car autrement que les pannes, les arrêts pipi ne sont pas prévus dans l’emploi du temps (si l’on peut parler d’emploi du temps dans cette région particulière de l’écorce terrestre). Les pannes, elles, sont quasiment prévues, il y a un prévisionnel de la panne au Laos, qui mérite pour le moins d’être observé statistiquement, et curieusement…
J’ai oublié de préciser que le réchauffement climatique escompté était remisé aux calendes grecques, la fonte entamée en Thaïlande s’étant vue brusquement figée dans la grisaille à partir de Luang Prabang, sous l’influence sans doute de la vague apocalyptique de neige chinoise, dont pas un touriste ne manquait de me parler, aussitôt qu’il m’entendait mentionner l’Empire du Milieu. Je n’avais pas vu la télé, mais j’avais au final une vision très nette, gonflée sans doute à mesure des exagérations et des récits successifs, de la nouvelle catastrophe dont on se plaisait à enrober la Chine, l’événement sensationnel du printemps naissant, survenu à point qui plus est, car les Chinois s’apprêtaient à effectuer leur traditionnelle migration annuelle, vers la Fête du Printemps précisément, ce Nouvel An que pour rien au monde ils ne manqueraient de célébrer.
J’ai pu constater à mon retour que les Chinois eux-mêmes avaient pris plaisir à enrober l’événement, trouvant là une occasion nouvelle de distraire les foyers, tout en renouvelant la solidarité nationale, et je suis rentrée juste à temps à Kunming pour ne pas rater, à la télé, unshow particulièrement édifiant, sur un plateau de vedettes en strass et talons aiguilles frissonnant à peine sous les projecteurs embués d’une tornade de faux flocons qui, au pire, leurs collaient aux faux-cils, au cours duquel nous, spectateurs, avons pu savourer une succession de chorégraphies, chansons exclamées, reportages criés sur grand écran à un parterre de VIP dont on entendait chaudement l’enthousiasme, sur le thème de la neige, et de l’héroïsme de ceux qui avaient su lui survivre. En particulier, un ballet de soldats en uniformes camouflés, poussant des pelles à grands coups de hanches, sur une chorégraphie dynamique et à peine martiale, m’a emballée, j’avais peine à ne pas penser que je rêvais, et que mes yeux avaient trop bu les vingt-quatre heures de paysage du voyage précédent, pour rentrer du Laos à mon home, sweet home.
Ce nouveau trajet de vingt-quatre heures, je l’ai dit, avait été sous le coup de la redécouverte, émue, des odeurs, des visions et des sons de la Chine, il était presque passé tout seul, et pour parfaire le choc culturel, tout en étirant un peu les muscles tannés par l’immobilisme routier, j’ai enchaîné sur une nuit en boite, à Kundu, le quartier magique de Kunming, où tout n’est que néons, portes gigantesques, béant sur des empires nocturnes tonitruants aux décors néobaroques plastifiés, et j’avoue que le contraste avec le Laos précédent ne pouvait sans doute être plus poussé. La population entière de Luang Namtha aurait sans doute tenu dans ce night-club, mais j’avais peine à l’imaginer se fondre si aisément dans le décor, dans ces tenues de moulages, de shorts plus courts que les culottes, dans ces jeux de cracheurs de feu, de sourires à peine déplacés dans les coins par les mouvements frénétiques des corps, de bouteilles alignées par dizaines sur les tables, au milieu d’épluchures de fruits et de canettes de thé vert renversées… Est-ce le nombre, est-ce le goût, est-ce l’argent, est-ce le système de valeurs des Chinois qui les rend si différents de voisins à peine séparés par une frontière plus ou moins baveuse, puisque sur cent kilomètres il est permis aux uns et aux autres, de chaque côté de la barrière, de naviguer librement pour leur commerce ? Je ne sais, toujours est-il qu’ils sont étonnants, ces Chinois, je n’ai pas fini de me le dire…
Depuis ce retour électrifiant, je me suis mise à l’œuvre dans ma nouvelle vie, de citadine, sans campus, sans élèves, sans obligations autres que celles que je me vote, et malgré le climat qui n’atteint pas encore tout à fait les sommets espérés de la saison en terme de chaleur, je m’y sens aussi à l’aise que dans l’eau thaïlandaise où je faisais le poisson tropical… Nulle difficulté à me couler dans cette eau là, j’y retrouve plus de couleurs, plus d’aisance, plus de joie que dans nulle autre auparavant. Et pour y onduler mieux encore, je me suis remise à la danse, autre avantage du centre-ville, et ça fait du bien…
J’ai été invitée à dîner chez mes voisins, chez mes gardiens, aussi. Ces derniers accueillent désormais leur mère et belle-mère, une petite femme encapuchonnée de bleu, qui vacille péniblement sur ses pieds autrefois bandés, serrés aujourd’hui dans des bottines qu’on dirait spécialement dessinées pour ces formes que seul l’être humain pouvait être capable d’inventer, les orteils effilés dans une pointe où à peine ne tiennent, sans doute, que des lambeaux d’eux-mêmes, mais le coup de pied d’un adulte, bombé vers le ciel comme le dos d’un oiseau pris dans les filets serrés des lacets… Je ne peux échanger avec elle autre que des regards, et des mots traduits par sa fille, car elle ne parle pas le mandarin : uniquement la langue du village, ou de la région, d’où elle vient…
Mes voisins quant à eux m’ont adoptée comme leur fille, ils voudraient que je vienne dîner aussi souvent que possible, pour faire parler l’anglais à leur fils de dix-sept ans. Je crois que celui-ci, comme ses parents, a eu la cruelle désillusion de réaliser que, tout bon élève qu’il était censé, étiqueté, être, promis à partir étudier à Pékin sous les applaudissements familiaux, il ne parlait pas un mot d’anglais. Les mots se coincent dans sa gorge, ou se mixent avec la soupe qu’il tente péniblement d’avaler au même moment, car il faut bien dîner malgré l’angoisse qui le serre, mais pas moyen de les sortir… Heureusement je connais un peu le phénomène, pour l’avoir fréquenté ces dix-huit derniers mois avec mes élèves, et lui ai appliqué mes méthodes de coaching et de mise en confiance, qui l’ont passablement détendu… Je ne voudrais pas qu’il attrape un ulcère, pour avoir perdu la face devant un « Professeur »…
Cela fait drôle de ne plus être Professeur, je le suis toujours néanmoins aux yeux des inconnus que je rencontre, car c’est la description la plus simple à attribuer à un étranger, autre que celle d’étudiant, et c’est plus simple à expliquer qu’un projet artistique, doublé d’un intérêt culturel pour la Chine… L’an prochain je tenterai de me glisser dans le rôle de l’étudiant, pour voir…
Voilà, les dernières nouvelles de Kunming. La ville va bien, elle progresse, elle s’étend. Elle a mis au point de nouvelles règles de trafic, adaptées à la façon naturelle de conduire des habitants, tout le monde semble s’en accommoder très bien, sauf moi et quelques autres étrangers amateurs de trajets efficaces et rapides, et imperturbablement critiques sur les circonvolutions nouvellement obligées, le « U turn » étant devenu la règle désormais pour toutes les grandes intersections de Kunming : U turn par-ci, U turn par là, on dépasse l’intersection, puis on fait son U turn, c’est beaucoup plus amusant, et ça rappelle la conduite à vélo, quand on montait sur les trottoirs pour faire demi-tour et qu’on piétinait les orteils de son voisin sur la deuxième partie du volte-face, faute d’avoir trop regardé… J’ai peut-être encore les yeux trop pleins de jungle, pour ne pas voir Kunming comme cet entrelacs de U turns, de fers à cheval posés là en vrac comme dans un sac d’espace, avec le cri des klaxons par-dessus… Moi, je crie « enfoiré ! » et « imbécile ! » (pour la version soft), comme je n’ai pas de klaxon, quand il faut signaler un U turn un peu tiré par les cornes, ou le réchappement in extremis de l’un de mes orteils. Avec un peu de chance, ça ressemble à de la poésie, en chinois…
Je raconterai la prochaine fois, je suppose, l’histoire du Hip Hop à Kunming… Et aussi celle d’un village de la minorité des Miaos, où l’on pratique le christianisme, depuis quatre-vingt ans à peine, et dont je reviens. Incroyable Yunnan… Je mets les photos en ligne pour commencer.
Japon
Sent: Wednesday, September 24, 2003 6:16 PM Subject: From Japan to China…
Konnichiwa ! Bonjour !
Quinze jours passés et déjà je me prépare à passer à un autre exotisme, encore quelques bonnes surprises et situations déconcertantes, je pense, en Chine… J’ai acheté le billet de bateau, départ vendredi midi de Kobe, arrivée à Tianjin (à une heure de Pékin) le dimanche en début d’après-midi.
Ce sera une « single tatami room » : on prend vite goût au tatami, je suis déjà convaincue d’y venir en rentrant. Vive le futon ! et vive les chaussures déposées à l’entrée : les Japonais ne font pas le ménage, et qu’est-ce que c’est propre…
Splendeurs et misères du tatami
Les chaussures, comme les baguettes, les mouchoirs, les gestes, font l’objet de toute une codification. Heureusement, les Japonais sont plutôt tolérants envers ces clowns de « gaijin » (étrangers), toujours prêts à se comporter de travers… Pas question d’aller se moucher en public (et pourtant on vous distribue à tour de bras dans la rue des paquets de mouchoirs en papier, l’outil numéro un du marketing de proximité, ici. Ranger soigneusement le paquet dans sa poche et continuer à renifler proprement…).
Pour ce qui est des chaussures, on prend vite l’habitude. Le tout est de ne pas oublier, en sortant des toilettes, de laisser en place les sandales spécialement réservées à ce cagibi : ressortir sur le tatami affublé de ces chaussons impurs serait pour le moins mal approprié… Le tatami est un espace sacré. Je m’assouplis d’ailleurs les genoux à force de le pratiquer, dans les restaurants du soir en particulier, où la chaise de bar des troquets à nouilles cède le pas à la table basse, sur le dénivelé du tatami au pied duquel s’alignent les paires de chaussures.
Kyoto, parcours initiatique
Je suis actuellement à Kyoto, la ville aux milliers de temples, et effectivement c’est saisissant, ils se cachent partout, se découvrent à profusion au hasard de la moindre balade ; sans compter les mini-temples, petits abris où sont protégées des statues d’enfants en pierre (pour demander protection des enfants, et en souvenir des enfants morts), avec des offrandes (verres de thé, de sake, biscuits, fleurs…).
Je suis chez une amie franco-japonaise, Cécile, qui me fait partager sa vie kyotoïte (elle y a vécu plusieurs mois, à deux reprises) et m’éclaire sur les innombrables questions que je ne cesse de me poser sur ce pays.
Ce matin, lever à 5 heures, marche jusqu’à un temple zen pour une séance de méditation, à 6 heures. Za zen : méditation assise (un défi pour les genoux, mieux vaudrait peut-être une bonne séance de yoga auparavant ; sous peine, comme moi, de se tortiller douloureusement en redoutant de saboter l’état de méditation des voisins…). On enchaîne sur un petit-déjeuner zen, thé vert, riz dans son eau de cuisson avec des pickles multicolores, au rythme des indications et des incantations du moine qui dirige la cérémonie. Il fait ensuite une lecture, qu’il commente. Je m’applique à imiter soigneusement les autres, mais ne manque pas d’être complètement à côté de la plaque : sandales alignées en vrac devant moi, veste posée en ce qui semble un tas grossier comparé au pliage de rigueur, comble de rectitude et de discrétion…
Cécile m’initie également aux mets étranges que je ne me lasse pas d’étudier (avec stupéfaction), et d’essayer (non sans stupeur à nouveau…), au supermarché. Ici, le soja est roi : en graines (fraîches ou fermentées, natto, dont les moisissures promettent santé et longévité), en pâte, miso, en sauce, en fromage, tofu (il est sublime, ici ; je vais me mettre en quête de son équivalent à Paris !), etc. On mange beaucoup d’algues, de pickles (à base de radis, courge, champignons, etc., marinés dans le sake par exemple ; délicieux, je les essaie sur tous les étals des marchés où sont offerts des échantillons…), de champignons, de riz, de haricots (rouges, en dessert). Des pâtes aussi, udon ou soba. Impossible de tout décrire, la diversité culinaire du Japon est un vaste champ et reste, pour moi, encore à explorer ; il faut couper cour à la légende qui veut que les Nippons ne mangent que des sushis !…
Les fruits et légumes sont littéralement hors de prix, de l’ordre de 1,5 euros la pomme ou la « poire japonaise »… On s’en fait des cadeaux, la palme revenant au melon (une cinquantaine d’euros), un cadeau que l’on reçoit avec force sourire, et que l’on s’empresse d’aller réoffrir, à temps, espère-t-on, avant l’amollissement des chairs… En fin de course, le digne fruit n’est plus bon à rien, pas même à être dégusté. De quoi méditer sur la fonction du cadeau : « plaisir d’offrir », sans aucun doute ; « joindre l’utile à l’agréable », reste à voir. Sans parler de la joie de recevoir…
A l’image de Tokyo, des villes en sons et lumières
Première étape sur le parcours qui m’a menée jusqu’ici, depuis Paris : Tokyo, ou le choc culturel. Tentaculaire, 34 millions d’habitants en incluant la conurbation (notamment Yokohama), mais tout se passe dans le calme et dans l’ordre. Les escaliers du métro se montent d’un côté, se descendent de l’autre (on a vite fait de comprendre quand on est à contre-courant…). Le Japonais ne va pas vous injurier si vous avez frôlé son pied : il va plutôt s’excuser. Il faut gérer également sa trajectoire sur les trottoirs, partagés avec les vélos. Le vélo est roi, j’ai testé et apprécié à Kyoto ; c’est pour le piéton que les choses deviennent périlleuses…
Dans toutes les villes, un brouhaha inextricable de haut-parleurs (militants de partis politiques, vendeurs ou racoleurs de boutiques…), de musiques ou cris d’oiseaux électroniques au gré des changements de feux tricolores, de musique tout court, jusque dans les musées parfois.
Chaque ville a ses quartiers de néons, illuminations verticales et clignotantes – des Broadway à échelle distendue, cités perpendiculaires où l’on vit suspendu derrière ces écrans de lumières ; et ses vieux quartiers, maisons de bois traditionnelles encore parfois, mêlées aux immeubles d’habitation plus récents, jamais très élevés, tremblements de terre obligent. Ce qui me frappe à chaque fois, c’est le contraste entre les grandes avenues et les rues qui en partent, à l’arrière, soudain étroites, sinueuses, pleines de fils électriques, de vélos, plantes vertes et distributeurs de boissons. Un distributeur tous les 15 mètres en moyenne, boissons fraîches et boissons chaudes, on n’est jamais en passe d’être assoiffé au Japon ! Et l’idée ne viendrait probablement à personne, ici, d’aller fracasser le distributeur…
Le souffle coupé du Mont Fuji
Après Tokyo et Yokohama (célèbre pour son Chinatown et son skyline en bord de mer), direction le Mont Fuji. Et là, malgré les hésitations journalières du climat en cette fin de saison « officielle » (les Japonais sont très à cheval sur les dates d’ouverture et de fermeture des saisons dédiées à telle ou telle activité), je n’ai pas pu rester en bas à regarder ce cône mythique, qui tire sa paix à lui comme une couverture jusqu’à la pointe écornée de son sommet, haut dans les nuages. Je suis finalement partie le grimper, une expérience que je ne suis pas prête d’oublier : pleine lune, coucher, puis lever de soleil, fin de l’ascension à 5 heures du matin pour aller découvrir le cratère, cerné de petits temples shinto improvisés (c’est avant tout une montagne sacrée ; sommet d’une nature, quoi qu’il en soit, tout entière sacralisée, partout respectée et célébrée), une vue vertigineuse sur la vallée verdoyante en bas, sous les pentes raides de roches volcaniques rouges, grises et noires… Une semaine de courbatures après ça. Mais la peine était largement compensée !…
Vie alpine au Soleil Levant…
Poursuite du camping dans les Alpes japonaises, au Nord-Ouest du Fuji, entre Nagano et Takayama, une région de onsen, des bains publics établis dans des sources chaudes naturelles à l’odeur souffrée, le soin parfait des courbatures… On prend soin de se laver avant d’entrer dans l’eau, et pas une fois dedans, une autre erreur attendue systématiquement des gaijin, et pour laquelle on sera moins tolérant… Avec le camping j’ai pris un rythme solaire, coucher 21h (surtout quand les piles de la lampe torche vous lâchent de manière impromptue, l’un des classiques du camping auxquels on ne semble pouvoir échapper, avec l’ondée subite nocturne et le gravier mal placé…), lever 5-6 heures. Le camping est déjà en effervescence à cette heure-ci, cela sent déjà le BBQ un peu partout entre les arbres. Pays du soleil levant…
…et redescente plus avant dans les contrastes du Japon
Après Takayama (et une nuit d’auberge de jeunesse dans un temple !), Kanazawa, une ville bien préservée des destructions de la guerre de 1945, ailleurs nombreuses et qui nous privent dans nombre d’endroits de ces restes de châteaux, de murailles orgueilleuses, d’ombres de rois et de samouraïs, et aussi de ces maisons de bois sombre, de ces quartiers d’artisans où l’on voit encore aujourd’hui, à l’occasion, un homme travailler et vivre aux côtés de sa voiture, derrière une vitrine. Il y a aussi à Kanazawa un jardin censé être l’un des trois plus beaux du pays (les Japonais ont ainsi leurs trois jardins phares, et leurs trois paysages incontournables : objets de pèlerinages, tout au long des vies nipponnes, et sources de nombreuses photos et commentaires), et il est assez impressionnant, il faut bien le reconnaître.
Mais ce n’est rien encore à côté de Kyoto, tellement riche de contrastes, mariant, au calme vert de ses faubourgs immédiatement très ruraux, sa fougue de grande ville, mêlant, à ses temples par milliers, ses quartiers dédiés aux bars de nuit, au bruit des jeux électroniques. Néophyte béate, je me suis laissée étourdir par sa gastronomie traditionnelle (un marché immense et réputé, où chaque étal est aussi arrangé qu’un patchwork ou une mosaïque), sa gare de verre et de métal, la surprise de découvrir les étudiants répétant le hip hop devant l’université, celle d’assister à une démonstration publique d’arts martiaux dans un budo, le lieu dédié à ces jeux de poings, d’épées et même, aujourd’hui, de mitrailleuses d’opérettes ; par la technologie omniprésente, et paradoxalement les maisons sans salles de bains… (nous avons ici un lavabo, pas d’eau chaude, et suivant la coutume, rejoignons le sento, le bain public, où l’on va pour se laver et profiter des potins du coin – sauf quand on ne comprend rien…- au bord des jacousis… bien mieux qu’une banale salle de bain, en somme !) ; par les portiques shinto, orangés, qui accrochent partout le regard et guident de véritables pèlerinages dans les collines.
Premier contact avec l’Asie, premiers dépouillements de la « part d’Occident »
Je fais des centaines de kilomètres à pieds, je devrais mettre une bougie au temple sur l’autel du Vieux Campeur et de Décathlon grâce auxquels j’ai, certes, un look de touriste en chaussettes blanches – on me demande sans cesse si je ne suis pas américaine… Au doux nom de « France » dans ma réponse, je vois les visages s’éclairer, les lèvres s’ouvrir sur des bredouillements de « Paris », « marvellous« , « beautiful« … Un début d’identification, car ce qui est certain, c’est que je suis avant tout ici « occidentale » : il n’y a plus de nationalité qui vaille, et moi-même d’ailleurs je tends à estomper les particularismes, finissant, à force de baigner dans ce statut d’étrangère, par me parler en anglais… Ce n’est qu’aux rares occasions d’une bouchée de vrai pain que je sens mes origines me chatouiller de l’intérieur… -, mais aussi une forme du tonnerre, pieds et dos intacts, pas de coups de soleil (une bougie à Saint Ecran-Total) mais la mine recolorée, en voie de sinisation peut-être (les Nippons, eux, se gardent bien des rayons du soleil !), sous l’effet nouveau de vivre en plein air, dehors par tous les temps !… Et dire que c’est parti pour un an !…
Demain je pars deux jours sur la côte voir le « Pont vers le ciel », une arche de sable en bord de mer, l’une des trois merveilles naturelles célébrées au Japon. Un peu de camping à nouveau, pour retrouver la nature avant de revenir une soirée à Kyoto, puis départ pour Kobe, attraper le ferry.
J’ai hâte de voir qui peut bien prendre ce bateau… Beaucoup de Chinois, je crois, car c’est finalement, semble-t-il, bien moins cher que l’avion. Je suis contente en tout cas de ces deux jours de pause maritime, qui vont me permettre de méditer sur cette première découverte du Japon, et de me préparer à plonger dans la Chine, un autre tourbillon d’idéogrammes, de sons, de couleurs incompréhensibles, de sourires et de patience. Car c’est fou ce que l’on se fait tout naturellement patient ici… Peut-être est-ce du fait de tout ce temps dont je dispose, mais la durée n’a plus d’importance. Demander un renseignement, c’est attendre 15 minutes la réponse, mais c’est comme cela, après tout, et pas si mal : on a le temps de savourer, de s’émerveiller du dévouement des gens, qui se mettent en quatre pour vous aider alors qu’ils ne comprennent rien à l’anglais, ni au plan anglophone que vous leur tendez… De toute façon ma montre m’a lâchée. J’en trouverai sûrement une « made in China » ; ou j’abandonnerai l’usage du cadran, pourquoi pas après tout…
Je pourrais continuer comme ça longtemps, mais je m’éloigne là de l’idéal nippon de synthèse, d’essentiel, de traits qui, simplement brossés, pourraient suggérer un monde… Si jamais vous n’êtes pas encore endormis ni saoulés par ces lignes plus longues que prévu, je profite de la dernière pour vous dire que je pense fort à vous, que je suis heureuse de partager cela avec vous, et que je vous embrasse. J’espère que vous êtes vous aussi en pleine forme et j’attends des nouvelles de vos découvertes personnelles,
Pauline
Chine (suite)
Sent: October 26, 2003 Subject: Comme la muraille de Chine…
…je n’ai pas fait le tour de Chine ! Quatre semaines, juste le temps de commencer à prendre ses repères et comprendre un peu comment marchent les choses ici. 110 heures de bus et trains divers au total, et quelques kilomètres à vélo, à pieds. 30 litres de thé vert (?). Plusieurs mètres de nouilles, à toutes les sauces, fameuses. Pas mal de sourires, pour essayer de palier à la difficulté de communication…
Deux Orients extrêmes
J’ai quitté le Japon il y a un mois, en bateau, de Kobe à Tianjin (48h) : transition douce pour franchir l’océan gigantesque qui sépare ces deux pays. En commun, je dirais que je vois, à peu près : les baguettes, les vélos (pas sur les trottoirs, en Chine : il y a des voies cyclables, ou alors pas de trottoir…), le bruit en mangeant les nouilles (ca y est, l’entrainement a porté ses fruits, et je ne conçois plus comment on peut manger ses nouilles sans les siroter : ce doit être comme pour le vin, les arômes ressortent mieux au passage de l’air…), le principe de base des toilettes (accroupi : mais là s’arrête la comparaison), quelques traces architecturales dans les toits des maisons.
Le reste : aussi éloignés que peuvent l’être un Anglais et un Américain, un Grec et un Turc, un Français et… whatever. Bref, très différents (et ne s’appréciant guère).
Les Chinois mangent autant de viande que les Japonais, du poisson. Ils sont aussi bruyants que peuvent être calmes les Nippons. Au Japon, le sol est le support de la vie sociale et quotidienne ; en Chine, c’est comme s’il n’existait pas, on jette tout dessus, on crache de côté les morceaux de gras, à table, on crache tout court, voire plus, et on mélange éventuellement le tout de temps en temps d’un coup symbolique de serpillière antique. La même serpillière peut servir à essuyer le couvercle du yaourt un peu poussiéreux que vous achetez dans la rue, dans lequel on plante ensuite une paille.
Au Japon, j’avais pris l’habitude de me cacher pour me moucher discrètement si nécessaire. L’arrivée en Chine est un sacré relâchement ! On sent néanmoins ses limites, l’éducation et le polissage ont fait leur effet avec les années, et il faut sûrement longuement travailler pour « détricoter » cet apprentissage et arriver à cracher dans la rue, par exemple. J’ai vu des étrangers y arriver cependant ; il faut dire que c’est une nécessité, vue la pollution : j’ai traîné moi-même une toux grasse à chaque passage dans une grande ville.
Le crachat (universel, en Chine : les visiteurs officiels des J.O. 2008 vont avoir plus d’une surprise !) est peut-être l’ultime apprentissage. Avant cela, on peut arriver, peu à peu, à pratiquer sans complexe le coup de coude dans les flancs de son voisin pour le dépasser, la parole coupée (pour acheter un billet de train : arriver avec ses gros sacs à dos, bousculer, se pencher devant celui qui est en train de parler, attraper l’attention du guichetier – qui passe sans plus de tracas d’un interlocuteur à l’autre, d’ailleurs -, prendre la parole tranquillement, jusqu’à ce qu’un autre fasse pareil devant soi). Plus difficile : le hurlement à tue-tête dans les couloirs des hôtels ou au téléphone : on a quand même des scrupules européens difficiles à renier…
Se faire une place au soleil
J’ai senti en Chine une certaine liberté. Il y a de la place pour tout le monde, le tout est de la prendre. C’est une bataille de tous les instants, mais tout est possible. Cela vaut pour la conduite en vélo (en voiture, en bus… En train, je n’espère pas…) : le seul code qui vaille est, « s’il y a un passage à se frayer, vas-y ».
Quelqu’un qui avait passé du temps en Chine m’a dit que, selon lui, au sein d’une telle population, il arrive un moment où l’on ne peut plus prendre en compte l’intégralité de ses voisins ; on se concentre sur le cercle de la famille, et l’on fait abstraction de tout ce qui dépasse. D’où ce sentiment d’avoir affaire, chez les Chinois, à un egoïsme forcené.
J’ai ressenti parfois une grande dureté chez les gens, en particulier dans le Sichuan, chez les Tibétains.
Mais d’une façon générale, c’est la gaieté des gens qui ressort (les Chinois sont très joueurs, ils se rassemblent facilement dans les parcs, sur les trottoirs, nouent la conversation en trois secondes), la gentillesse (souvent quelqu’un pour vous aider, dévier son chemin pour vous accompagner là où vous voulez aller). J’ai adoré les trajets en train, c’est presque une fête. On échange des noix, des fruits, du thé…
L’intimité dynamitée
Je crois que je n’ai pas eu, en un mois, une minute d’intimité. Pas moyen de s’asseoir dans un coin avec un livre, ou son journal : un, puis deux, puis une foule éventuellement, de Chinois vont s’approcher, commencer à parler (même si l’on ne comprend rien), mettre les doigts sur un dessin, prendre le livre des mains, commenter à leurs voisins… Le plus drôle étant lors de mes tentatives de dessin : d’une certaine façon, la gaieté des Chinois, et leurs rires pointés alternativement vers les personnages et leurs modèles suspectés, m’ôtaient toute culpabilité dans l’entreprise de défiguration à laquelle j’étais en train de me livrer…
A vélo dans une ville, à coup sûr au premier feu rouge un étudiant va venir demander s’il peut faire le trajet avec vous (quel que soit le trajet), « to practice his English« . J’avais beau lui expliquer que j’étais « French« , peu importe, je me changeais en ambassadrice de l’Occident, professeur d’anglais, un peu comique…
Le chant du « laowaï »
Comme au Japon, tous les étrangers (laowai) sont mis dans le même panier « Occident ». Il y a le « Western » et l’« Eastern world », peu importent les nuances.
Là encore, par une belle journée sans trop de galères, les « hello » sont presque plaisants, et les « laowai » ont un caractère exotique amusant. Après 26h de bus, entre deux fumeurs, une jeune Chinoise vomissant par la fenêtre (un trajet sans la jeune fille vomissant ne serait pas vraissemblable : en tant qu’« Occidentaux », on s’attendrait à être les seuls en droit d’être malades dans les bus, ayant pour cela de bonnes raisons ; sotte pensée de notre part, mais constat néanmoins que ce sont toujours les locaux qui semblent souffrir les premiers des routes formidablement cabossées, des amortisseurs de l’époque des Ming, des pots d’échappement sans ramonage), les genoux dans le menton, les pieds coincés entre deux sacs de riz et son propre sac à dos, on devient moins patient.
Après quarante tentatives de prononciations de cette phrase que l’on sait, pourtant, être chinoise – on a passé quatre heures à en étudier la composition et le sens -, face à un visage impassible et à une série de « meiyou » (« non, il n’y a pas ») et de « tinbudong » (« je ne comprends pas » : l’une des premières phrases que j’ai appris à dire, me disant qu’elle me serait sans doute utile à prononcer ; en fait, je me suis plus souvent vue la recevoir à la figure, que la prononcer…), également. Le « laowai » lancé à tout bout de champ devient un aiguillon prêt à déclencher une tempête.
Cette fois je crois que j’ai pu ressentir au fond de mes tripes ce que peut éprouver un immigré marchant dans la rue, avec sa démarche importée, ses vêtements, son allure, ne parlant pas la langue, essayant tant bien que mal de faire des efforts pour se faire comprendre, mais personne ne le comprend, il a du mal à déchiffrer la signification des mimiques ou des rires des gens, et par-dessus le marché on lui balance des « étranger » plus ou moins ironiques…
D’un autre côté, je n’ai pu m’empêcher de penser à la boulangère du fin fond du Massif Central, qui voit débarquer depuis peu quelques spécimens barbares en Gore Tex, démarche sportswear, montrant du doigt les petits pains avec des accents gromelants, et je me dis qu’elle a sûrement tendance, elle aussi, à ranger ces astronautes dans la case « Amerloque » ou « Teuton », sans discernement ni autre forme de curiosité, comme les Chinois ont leur case « touriste occidental »…
Communication hasardeuse, étonnantes rencontres
D’une façon générale, c’est le manque de communication qui crée les rancoeurs ; si seulement on pouvait expliquer pourquoi l’on agit comme ceci, et pas comme cela, pourquoi l’on a ces gestes, cette démarche si décalée…
J’ai acheté à Pékin une méthode pour apprendre le « colloquial Chinese« , c’est tellement frustrant de ne pas pouvoir communiquer. Heureusement il y a les étudiants, dans les grandes villes en particulier, on fait des rencontres intéressantes. Cette écolière, par exemple, et un vieux monsieur, qui se sont approchés tandis que j’essayais de négocier des fruits dans la rue, à Chengdu. L’écolière faisait l’interprète. Le vieux monsieur m’expliquait que j’étais en train de me faire avoir, me montrait les magnifiques pommes qu’il avait achetées pour quatre fois moins ; m’en donnait une, puis deux, d’ailleurs. Ils m’ont accompagnée tous deux ensuite à un restaurant où je pourrais manger quelque chose de bon et pas cher ; ont décrypté pour moi le menu et ont passé la commande en chinois. L’écolière est restée deux heures avec moi au restaurant, m’apprenant du chinois, et moi lui montrant de l’anglais. Le vieux monsieur sur son vélo est revenu dix minutes plus tard nous poser discrètement sur la table deux petits pains chauds, avant de s’éclipser, tout aussi discrètement…
Ou ce jeune Tibétain, à Songpan (petite ville du nord du Sichuan, région tibétaine), que j’ai aidé à ouvrir son compte email Yahoo dans un cyber café (tellement contente de pouvoir, pour une fois, aider quelqu’un à mon tour !), qui a absolument tenu à m’inviter à dîner. Il avait fui, à 19 ans, sa vie de berger de yaks auprès de ses six frères et soeurs dans les montagnes, pour rejoindre, sans un sou, Lhassa, puis l’Inde et le Dalai Lama, et étudier le bouddhisme. Après huit ans en Inde, il a eu le plus grand mal à franchir la frontière chinoise pour une visite à sa famille. Il parle mieux anglais et tibétain que chinois (il s’en est d’ailleurs trompé dans la commande au restaurant), est quasi végétarien, respire le calme, est choqué par la plupart des pratiques chinoises…
A Dali, un moine m’a invitée à boire le thé, puis à déjeuner avec lui, des amis à lui et les autres moines, dans le temple.
Un autre, dans le train, m’a demandé à 6 heures du matin, juste avant l’arrivée en gare, de dessiner son portrait.
Les tribulations des Chinois en Chine…
D’une façon générale, les Chinois sont très surpris de voir tous ces étrangers qui voyagent seuls. « Où sont tes amis ? », questionnent-ils ! Le tourisme à la chinoise est une attraction en soi. Il faut voir ces hordes de casquettes et drapeaux, débarquant ou embarquant dans des bus, se relayant devant les « hauts-lieux » photographiques, souvent identifiés par une pierre marquée d’une inscription, dressée devant une vue magnifique, une cascade ou un bouquet d’arbres.
J’ai été assez deçue par un parc national, Jiuzhaigou, dans le nord du Sichuan, dans lequel on circule en « randonnée » le long de passerelles en bois, devant un groupe en costume de ville et cigarettes, derrière un autre groupe, inversement, en gore tex et appareils à trépieds (le système des passerelles a le mérite de s’adapter à la grande diversité des approches touristiques possibles en Chine…). Un service de bus dessert toute la journée le parc. L’entrée est hors de prix. La plupart des touristes chinois viennent du Guangdong, de Shanghai ou de Pékin. Seuls les touristes étrangers, tous equipés du « Lonely Planet », logent dans le parc, chez l’habitant – Tibétains ; record de crasse et d’inconfort, mais l’expérience vaut le détour. J’y ai passé deux nuits. Pas une goutte d’eau dans le village. Rinçage des bols et baguettes à l’eau de pluie, chasses d’eau improvisées… Elles sont loin, les douches européennes de 20 minutes… Dans les villes chinoises, les filles lavent leurs longs cheveux dans des bassines, sur le trottoir : la douche a une valeur que l’on sous-estime, dans nos villes à nous ! -, ce qui soit-disant est interdit ; on évite ainsi de repayer l’entrée, et de se ruiner dans les hôtels bétonnés alignés à la lisière du parc.
Impressionnant contraste entre les Chinois des grandes villes de la côte et le monde rural (majoritaire), où l’on travaille à la charrue à bœufs, paniers d’osier sur le dos, tandis que les grains de maïs et les piments sèchent sur les trottoirs… Entre les deux, tous les commerçants, employés, etc., des villes moyennes. Sans compter les étudiants lettrés, une population à part, là encore.
…et les tribulations des Barbares en Chine
Au Yunnan, j’ai pu faire enfin une vraie randonnée, magnifique, une gorge profonde, des roches et des arbres dignes des gravures chinoises. Et vivre les seuls trois jours, en un mois, de silence et de moments isolés. Apres trois jours, on prend l’habitude de se lever chaque matin et de renfiler ses chaussures pour prendre la route, et l’on se dit que l’on pourrait continuer à l’infini… (comme cet Anglais qui avait gravé sur un banc l’inscription de son passage, en route qu’il était, à pieds, autour du monde depuis quinze ans !).
Le deuxième jour, encore une fabuleuse surprise « à la chinoise » ; incroyable ce à quoi le fait de ne pas parler chinois peut vous mener… En temps normal, cela se limite à une mauvaise connexion en train, un minibus bondé au lieu du royal confort promis, du Lipton Yellow au lieu du fabuleux thé du Yunnan, une spécialité culinaire totalement inattendue dans l’assiette… Là, après une descente abrupte en plein soleil pour atteindre le fond de la gorge, et un bol de nouilles pour s’en remettre, nous demandons quel serait le chemin le plus sûr pour remonter et atteindre le refuge. La jeune femme nous sort un petit carnet sur lequel est écrit, en anglais, « dear tourist, (…) si vous voulez emprunter le chemin de droite – soit disant plus sûr, du moins avons nous cru comprendre – merci de demander notre aide, et de payer 5 yuans ». Il y aurait en effet une échelle à emprunter. Comme à chaque passage de pont ou de chemin nouveau, nous nous acquittons des 5 yuans. Et ne tardons pas à réaliser ce que les Chinois sont prêts à faire faire aux touristes pour 5 malheureux yuans… Ce n’est pas une échelle, mais cinq, à chaque fois plus longues, verticales (voire inclinées en arrière) le long de la falaise, ou plutôt à un mètre ou deux de la falaise, autrement dit dans le vide. Une fois engagé, on n’a plus qu’à se concentrer sur le grondement de la rivière, en bas, pour ne pas écouter son cœur en délire, et à manger du sucre pour penser à autre chose… Production de plusieurs litres d’adrénaline en un temps record.
Jamais eu aussi peur je crois. Mais comme à chaque galère, quelque chose de lumineux après. En l’occurence, un fou rire incontrôlable, assis dans la poussière sur le chemin à pic au-dessus du vide et des échelles maudites…
Tentative de recensement des moyens de locomotion en Chine
Je pourrais continuer à l’infini. Pour résumer géographiquement (enfin la géographie chinoise est-elle devenue concrète et passionnante, sortie des manuels et des cours de fac !), j’ai rejoint, depuis Tianjin, Beijing, ou j’ai passé grâce à Muriel et Bertrand une semaine fabuleuse (Merci à vous de vos bons tuyaux ; les baguettes ont été d’une grande utilité, et sûrement grâce à elles j’ai gardé une santé de choc !).
Train jusqu’a Xi’an (la fameuse armée de soldats en terre). 26h de voyage jusqu’à Nanping, dans le Nord du Sichuan (sommet de l’exotisme : on me dévisageait avec de grands yeux et une curiosité record), pour rejoindre le parc de Jiuzhaigou. Puis pause (et douche publique, jamais tant appréciée) à Songpan, dans un paysage encore nouveau, montagnes cultivées en terrasses, chevaux, entre autres moyens de locomotion (le recensement des moyens de locomotion en Chine est peut-être aussi impossible à réaliser que celui de la population… jamais vu une telle créativité dans la façon de se déplacer et de transporter les choses et les personnes !).
Chengdu, ensuite, ville réputée pour son art de vivre (ses maisons de thé où l’on discute, joue, se fait masser ou nettoyer les oreilles – avec une grande pince rouillée : comme la pastèque dans la rue, peut-être à inscrire sur la liste des choses à éviter…), sa cuisine (hyper épicée : le meilleur remède contre le rhume et la pollution) et ses jolies filles, dit-on.
De là, j’ai fait un aller-retour une journée pour aller voir le plus grand Bouddha du monde, à Leishan (que j’ai failli rater : attendu quatre heures le bateau pour lequel on m’avait vendu un billet, bateau fantôme…).
Puis, 24 heures jusqu’à Lijiang, dans le Nord du Yunnan : et là, repos, flâneries, vélo, randonnée… De Lijiang, trajet bakpacker classique : Dali, puis Kunming, où je passe aujourd’hui mon dernier jour, avant de prendre ce soir un bus pour la frontière vietnamienne.
On pense au bord des rivières chinoises, on ne s’y baigne pas nécessairement…
Tout cela en pleine forme (croisons les doigts !), sauf un bon rhume (comment slalomer entre les crachats ?…), grâce à des mesures de précaution quand même. Après quelques visites dans les marchés ou même le long des trottoirs ou dans les arrière-cours des campagnes, on a vite fait de se tourner vers le végétarisme… Avoir ses propres baguettes n’est pas superflu non plus. Son sac à viande propre, aussi… Vive les lingettes auto-nettoyantes, le savon est une denrée rare dont l’odeur peut parfois devenir un rêve absolu, au cours d’une journée ! Le couteau suisse pour peler les fruits. Et l’alliée numéro un, en Chine : l’eau bouillie, partout disponible, dans les trains, les hôtels, les lieux publics même, souvent. Partout ces grands thermos fleuris, dont je vais m’empresser de faire l’acquisition à Chinatown-Paris en rentrant, je crois !
La cuisine chinoise est d’une variété incroyable, et sublime. Je ne pense pas que je pourrai jamais retourner dans un restaurant chinois en France après ça… Inutile de parler d’un nem à un Chinois, il croira que vous lui parlez chinois… Je devrais les trouver au Vietnam, je crois, par contre.
En conclusion : la Chine n’est pas Gong Li en robe de soie fuselée gravissant les marches à Cannes, ni le vieux sage barbu assis au bord du fleuve, ni la porcelaine Ming délicate et fragile… Moins délicat, mais très attachant néanmoins !
Je vous envoie plein de sourires chinois (on en croise beaucoup par ici !), et le mien, jusqu’aux oreilles, et vous embrasse,
Pauline
Chine
03/10/2003 03:53 Objet : 1ères impressions de Chine
Ni hao ! Bonjour !
Ca y est, me voilà plongée en Chine, et en route pour m’enfoncer dans ce pays gigantesque que déja je voudrais pouvoir arpenter en long en large beaucoup plus longuement qu’un mois… Les proportions ne sont pas les mêmes qu’au Japon, et même à l’échelle d’une journée, ici à Pékin, je cours presque après mon temps ! Moins facile de traîner, de s’asseoir n’importe où puis repartir tranquillement. Je me suis quand même mise à le faire, passés les deux premiers jours, à arrêter le vélo de temps en temps.
Objectif communication
J’ai trouvé un moyen de communication très efficace avec les Chinois : dessiner. Immanquablement, j’attire un attroupement, on se penche par-dessus mon épaule, on se plante devant ma vue (idéal pour dessiner…), les enfants s’appuient contre mes jambes, tout le monde commente, rigole, appelle son voisin… Je donnerais cher pour comprendre ce qu’ils peuvent bien se dire !
Tout à l’heure je pars en quête d’une méthode pour apprendre le chinois. J’ai trop envie de communiquer avec eux, et de comprendre plus la façon de raisonner que peut impliquer une langue tellement basée sur l’image.
C’est drôle, je passe de moments de galère et de difficulté, face à des gens speed qui vous indiquent n’importe quelle direction, pourvu que vous les laissiez à leur occupation (un mementum au goût parisien, qui me fait réfléchir à prêter particulièrement attention, au retour…), à – la plupart du temps – des rencontres simples et directes, des gens très curieux et souhaitant vivement m’aider.
C’est plus facile qu’au Japon, finalement, car les jeunes Chinois (en tout cas à Pékin, on verra ensuite au fin fond du Sichuan…) parlent l’anglais, et comme on leur dit à l’université de pratiquer dès qu’ils le peuvent avec des étrangers, je suis sans cesse abordée, dans les jardins, musées, partout où je ralentis le pas. De ce que j’entends du chinois, l’accent me paraît assez proche de l’anglais, et je trouve que les Chinois ont un bon accent quand ils parlent l’anglais, bien meilleur que nous les Français…
Les panneaux des rues sont presque systématiquement (encore une fois, à Pékin…) traduits en pinyin, ça facilite la tâche… Idem au supermarché, les produits (destinés à l’exportation, sans doute, par ces commerçants de Chinois ; et, sans doute aussi, entraînés par le marché de Hong Kong) portent souvent une traduction anglaise, on peut au moins savoir ce qu’est l’ingrédient de base du sachet, de la pomme de terre ou de la blate séchée… (c’est un des snacks que j’ai repérés, pas encore essayé ; on verra…).
Sur le continent de l’Inde
Je ne sais pas s’il va se passer la même chose à chaque changement de pays, mais il faut faire comme un « deuil » du pays précédent, auquel on s’était attaché, pour se lancer corps et âme dans le suivant. Ca y est, je suis dans la phase où tout est nouveau, tout est fascinant, de la brique posée sur le sol, au rouge délavé des murs impériaux, en passant par les tricycles surchargés, les cabines téléphoniques ovoïdes orange, les brochettes en tous genres que les gens promènent parfois à travers les rues, les marchés où l’on égorge les poulets et où s’étalent des organes dont on aimerait mieux ne pas trop s’approcher, les klaxons de tous les côtés, les drapeaux chinois qui mettent partout une note de rouge, en particulier sur la brique grise des hutong (ruelles de maisons traditionnelles, en passe de disparaître, ce encore plus à l’approche des J.O. 2008, pour lesquels on fait actuellement un grand ravalement…), les lanternes rouges, les pères Noël lumineux du quartier russe (!) , les énormes avenues, avec leurs salves de vélos, leurs bus defoncés (et bondés : il doit rester, des années dures du communisme, une peur de manquer ou de ne pas avoir de place, qui pousse les Chinois à systématiquement se ruer, l’objectif final primant sur les moyens à mettre en oeuvre, que ce soit le piètinement des voisins ou le planter de coups de coudes…), les gargottes partout où à toute heure on mange, ça sent si bon…
Le bruit aussi est très différent du Japon. Pas trop de hauts-parleurs (quelques-uns tout de même…), beaucoup de klaxons, de cris (je ne sais pas si le chinois se chuchote : ceux qui le parlent, merci de m’éclairer !). Peu de musique en ville : parfois, tonitruante, à l’entrée d’un magasin de disque, mais pas de façon omniprésente comme au Japon.
Peu importe ici l’esthétique : l’architecture, les restaurants, l’habillement (les ados eux-mêmes restent assez soft !) sont avant tout utilitaires ; on est loin de l’extrême raffinement du Japon.
De passer comme ça de l’un à l’autre, la différence entre ces deux pays, tout reliés qu’ils soient, par le faisceau d’influences lancé tous azimuts par la Chine vers ses voisins, mais aussi par la représentation poétique et mythique qu’on s’en fait depuis l’Occident, et aussi, finalement, par deux journées à peine en mer, me frappe de plein fouet. Sur le bateau j’ai pu commencer à la sentir, et aussi à en parler avec une Chinoise qui venait de finir sa thèse sur les relations socio-culturelles entre Chine et Japon, qu’elle avait étudiées en particulier à travers le prisme des nombreux émigrants du Japon venus en Chine pendant la deuxième Guerre Mondiale, qui reviennent au Japon trente ans plus tard, mais parviennent difficilement à s’y réinserer.
Premier choc culturel en arrivant à Tokyo le mois dernier. Deuxième ici, où je me suis immédiatement sentie sur le continent de l’Inde.
Des travaux partout. Tout est en perpétuelle reconstruction, semble-t-il. Dès la sortie de la gare, je me suis fait assaillir par une troupe de chauffeurs de taxis flairant le touriste à qui offrir de parcourir 2 km au prix du Pékin-Pétaouchnok…
La vie d’expat’
Grâce à Juliette, je suis dans des conditions de rêve, chez Bertrand et Muriel, un couple de Français expatriés à Pékin pour 4 ans, après avoir déjà vécu 4 ans à Berlin, et avant d’enchaîner probablement avec 4 ans au Brésil. Bertrand travaille chez Valourec (équipement automobile et tuyaux en plastique). Ils ont quatre enfants, la dernière a trois mois, Muriel a dû rentrer accoucher en France l’année dernière en plein SRAS… A ce propos, ils disent qu’ils sont tombés de haut devant l’accueil qui leur a été réservé en France quand ils ont été rapatriés, à se demander, disent-ils, ce que les médias ont bien pu nous raconter en Europe. Leurs amis ne voulaient pas les voir avant le respect d’une quarantaine d’un mois ! En Chine c’était la panique, Pékin était fermée, mais la maladie n’avait rien de plus inquiétant, finalement, que les multiples petits organismes à faces microscopiques étranges, bacilles, virus et autres bactéries que l’on peut attraper tous les jours ici… Muriel m’a donné une paire de baguettes perso, d’ailleurs, à utiliser dans les endroits où l’on a tendance à rincer vaguement bols et baguettes avec le fond de la théière… Un bon vaccin contre l’hépatite n’est effectivement pas de trop…
Ils m’ont prêté leur vélo. Et sont partis cinq jours en vacances, c’est la fête nationale ici en Chine, un vrai bazar pour circuler, le pays entier se met en route. J’ai fait appel à une agence de voyage pour obtenir un billet de train pour Xi’an samedi, l’agent m’a rappelée hier soir à 21h pour me dire que ça marche, il a pu avoir une couchette !
Vouloir barrer un pays d’un mur
Hier, Grande Muraille : quatre heures de bouchons pour y arriver, dans un minibus bondé, enfumé… mais c’est la moitié du charme de l’expédition, l’autre étant la découverte de ce site tellement photographié, que s’il suffisait de cinq minutes d’ascenseur pour y arriver, cela perdrait en valeur… Il faisait très beau, il y a une jolie lumière d’automne ces jours-ci, les couleurs claquent. C’est impressionnant ce mur sur la crête, et les montagnes hachées des deux côtés de l’horizon. Quelle ambition, quand même, d’avoir voulu barrer un pays d’un mur !
J’ai rencontré dans le bus quatre jeunes Chinois, on a passé la journée ensemble, et la soirée au restaurant en arrivant à Pékin, un très bon moment.
Je ne peux pas tout raconter, même si l’envie ne me manque pas de continuer encore et encore…Je pense bien à vous tous,
Je vous embrasse,
Pauline
Sent: October 17, 2003 Subject: News from Yunnan
Merci pour vos mails ! le dernier un peu rapide que je vous avais envoyé était de Chengdu, capitale du Sichuan ; depuis deux jours je suis à Lijiang, petit paradis dans le Yunnan.
Encore un voyage épuisant pour y arriver (à chaque changement de région, c’est un après-midi plus une nuit dans le train, sur laquelle on enchaîne une journée de 8-10h de bus…), mais cette fois-ci je me pose, je me sens bien dans cet endroit.
L’auberge de jeunesse est propre et calme. Mes premiers draps propres depuis Pékin !! Il y a non seulement du savon pour se laver les mains dans les toilettes, mais un mitigeur ! Vous voyez à quoi on mesure le confort… Et avec ma carte de membre Hostelling International, je ne paye que 10 yuans par nuit (8-10 francs)…
Aujourdhui je vais louer un vélo voir un peu les environs. Demain, partir pour 2-3 jours de randonnée, dans ce qui a l’air d’être l’un des paysages les plus fabuleux livrés à l’imagination (d’après ceux qui en reviennent). On est à 2 400 mètres d’altitude, ici, je crois. Il fait beau, pas trop chaud, juste parfait. Le linge sèche vite, sur la terrasse de l’AJ qui domine les jolis toits chinois de la vieille ville.
Pur bonheur. Je me suis déclarée « en vacances », enfin, car la Chine n’est pas de tout repos ! Quelle énergie il faut pour affronter leurs « meiyou » (« non, il n’y a pas »), « bushi » (« non »), incompréhension totale le plus souvent ; et les « laowai » (« étranger »), et « hello » à tous bouts de champs, parfois j’ai envie de leur répondre « bonjour », j’en ai marre d’être assimilée sans distinction au monde occidental. Je réponds « ni hao« , en déformant la prononciation à la mesure de la déformation, souvent très ironique, qu’ils ont eux-mêmes appliquée à « hello« : voilà une solution qui paraît fonctionner. Heureusement, en visant les jeunes on a des chances de trouver quelqu’un qui parle anglais…
Malgré tout j’ai envie d’explorer encore et encore ce pays, d’apprendre du chinois et de revenir encore et encore, c’est si varié !
Je crois que je ne pourrai jamais retourner au restaurant chinois en France, tant ça n’a rien à voir. Et si varié, quand on change de région on ne retrouve pas les mêmes plats. Le Sichuan est réputé pour sa cuisine (tres épicée), et à raison : c’est sublime.
J’entends des avis très variés sur le Vietnam, mais je crois que je vais de toute façon aimer, comme tous les endroits vus jusqu’ici, malgré les galères (eh oui, Papa, j’avais répondu à ton mail à ce propos, malheureusement c’est celui qui n’est pas passé : of course tout n’est pas simple comme de l’eau claire (inexistante en Chine d’ailleurs…), mais je n’y pense même pas, ça fait partie intégrante du jeu, se planter de train (arrivé une fois au Japon), attendre 4h un bateau qui n’existe pas mais pour lequel on vous a vendu un ticket (la semaine dernière à Leishan, pour voir le plus grand Boudha du monde), 8h dans un minibus minuscule (jambes dans le menton) avec six Chinois ne parlant pas un mot d’anglais : heureusement il y a le paysage – hallucinant – dans lequel se plonger, quand on a épuisé toutes les ressources possibles pour communiquer… Et bien sûr les innombrables toilettes, tous plus incroyables les uns que les autres. Le record pour l’instant est détenu, je crois, par un trou obscur au fond d’une cour, auquel on accède après avoir enjambé la laisse d’un clébard agressif, cinq ou six poulets roucoulants, et la tête de deux porcs endormis dans la boue. Ce jour là, ça a été trop ; ils m’ont laissée faire pipi dans le ruisseau non moins réjouissant qui longe le mur de la cour… Quand on a compris les circuits de l’eau en Chine, on a tôt fait de se tenir éloigné des robinets, fruits et légumes…
Voilà, voilà, quelques news un peu plus détaillées !
Je suis en pleine forme, très heureuse toujours, et ultra reconnaissante à la terre et à la vie de me permettre de faire ça ! et à vous tous !
gros, gros bisous
pauline
Vietnam
Subject: Vietnam charm
Sent: lundi 3 novembre 2003 14:32:30
Hello hello !quelques nouvelles, après ces quelques jours au Vietnam où ça y est, je plonge corps et âme, complètement transportée par le charme d’Hanoi. Je vais avoir du mal à en partir ! Demain je m’éclipse trois jours dans la baie d’Halong, un petit tour que font tous les touristes mais qui, je crois, n’est pas mal du tout : une nuit sur un bateau, l’autre sur une île à l’hôtel ; randonnée dans la forêt et les villages, canoë-kayak, baignade… J’ai trouvé tout à l’heure au fond de mon sac mon paréo (celui de Goa…) que j’avais presque oublié, bien roulé en boule quelque part dans une poche. Ca va faire du bien de voir la mer !
Vendredi, nouvelle journée à Hanoi – chaque jour ici est un enchantement, je ne m’en lasse pas ; cinq jours déjà, je crois, à flâner, fouiller des yeux, c’est comme si cette ville avait plusieurs épaisseurs, il faut repasser plusieurs fois… -, et le week-end je repars pour deux jours de randonnnée dans les montagnes, histoire d’avoir une meilleure vision, j’espère, des montagnes du Nord que celle que j’ai eue les deux premiers jours à Sapa, où il n’y avait, littéralement… pas de vision ! Une brume à couper au couteau. Un peu décevant après la super randonnée faite au Yunnan.
Mais surtout, je crois que, comme les premiers jours en Chine, il va me falloir à chaque fois quelques jours d’acclimatation. C’est tellement étrange de se construire des repères, de commencer à naviguer avec aisance quelquepart, puis de tout recommencer, surpris car on a toujours tendance à supposer que deux pays séparés par une frontière de 20 mètres de large devraient tout avoir en commun…
Art de vivre indochinois
En tout cas, troisième pays d’Asie, troisième découverte. C’est passionnant, même si je ne parle pas les langues, même si j’effleure les cultures, je commence à avoir des éléments de comparaison, à comprendre certaines choses par déduction et comparaison avec les précédentes découvertes.
J’ai eu un choc au musée des Beaux-Arts de Hanoi. Quel bonheur de retrouver ici l’esthétique, le raffinement ! tout en gardant le charme du bazar asiatique…
Que ce me semble propre ! trop propre, même, et trop facile. Il y a des touristes partout, et pas seulement des backpackers : également des gens en vacances, qui visitent, consomment, blindent leurs sacs de souvenirs et se parfument pour aller dîner le soir… Très bizarre, après la Chine.
En tant que Français on est accueilli à bras ouverts, on a l’impression d’arriver chez des cousins. Et tous ces cafés (ou ca phe) partout, sur un coin de trottoir, dans une échoppe, ou sur une terrasse avec des tables en fer forgé…
Ouh là là, je suis mordue par Hanoi !
Un peu comme par Barcelone : des plantes vertes qui sortent partout, du fer forgé, le jaune des murs, l’architecture (Art Déco de rigueur…)… Mais plus lent, moins agressif, cela doit venir de la langue aussi.
Et pour me rien gâcher, le pouvoir d’achat grimpe encore un peu. Je dors (comme un bébé) dans un dortoir pour 1 US$ par nuit. On peut boire à un café sans se ruiner. La cuisine est un peu décevante après la Chine, par contre (surtout quand on évite les fruits de mer). Je continue à vivre dans la rue, au marché le matin qui regorge de petits stands, en vadrouille la journée, démarche lente, locale (il fait chaud…)…
Je pense bien à vous. J’espère retrouver cette atmosphère à Pnom Pehn (orthographe douteuse ?…) ?…
Je vous embrasse fort,
Pauline
24/11/2003 16:05 Objet : Good morning (Vietnam)
Ho Chi Minh City (Saigon), 35 degrés moites et un brouhaha qui ronronne déjà à 5h du matin, quand les Vietnamiens se mettent en branle (je les rejoins vers 6h, généralement… A 8h, il faut déjà sortir la crème solaire ; à 9h, le premier coca se fait urgent).
Ca n’empêche qu’on aperçoit ça et là des panneaux « Merry Christmas 2003 » et « Happy New Year » avec des pères Noël et des guirlandes de sapin. Finalement, les decorums festifs chrétien et boudhiste se fondent assez bien : la guirlande électrique, le papier d’argent et les bougies rouges se retrouvent à égalité.
Au bout d’une nuit d’encre de Chine
La transition avec la Chine a été boueuse. Je ne pouvais quitter le pays sans avoir testé un moyen de transport encore evité – mais je me demande parfois si quelqu’un a déjà essayé de recenser les moyens de transport en Chine : impressionnants de créativité en la matière, les Chinois se déplacent sur tout et n’importe quoi - : le bus-couchette. Un nom séduisant, pour un concept peut-être séduisant par temps sec (et encore…), en tout cas assez reluisant de boue par la pluie qu’il faisait à Kunming ce jour là. J’ai finalement réussi à passer avec mon sac à dos entre deux des trois rangées de lits, à déloger le type déjà avachi avec ses chaussures sur celui qui m’était attribué, à encastrer les sacs entre les cartons, sacs plastique, chien (pendant les trois premières heures du voyage j’ai cru que c’était un poulet, au bruit. Après j’ai commencé à émettre des hypothèses sur la capacité de continence du chien, coincé sous une banquette pendant 15 heures, et à calculer la pente qui le séparait de mon pauvre sac à dos heureusement déjà protégé d’une bonne couche de boue huileuse).
On s’est mis en route vers Lao Cai, à la frontière du Vietnam ; j’ai demandé à mon voisin de gauche de bien vouloir cracher ses bouts de cure-dents dans l’autre couloir ; il faut dire que j’avais besoin de ce couloir-ci pour loger tantôt mes fesses, tantôt mes pieds, les 150 cm du lit (pour 35 de large) ne permettant pas de tout rentrer. Le côté carcéral du bus – des barres de fer dans tous les sens, horizontal et vertical – s’est avéré très pratique, pour tenter de rester chacun à peu près accroché à son lit (pas comme les sacs et cartons qui, eux, voyageaient déjà sur la couche de mégots du sol).
A 6h, on m’a larguée à la ville frontière, nuit noire, pluie incessante, charmant port de pêche ou brillait la lumière d’un bar déjà ouvert, où j’ai rencontré un Américain éleveur de bambous avec qui on a commencé à faire le parcours du passe-frontière : trouver la bonne banque pour changer les billets – et récupérer un matelas de Vietnam Dongs, 1 US$ valant 15 000 dongs, on se retrouve millionnaire, et la silhouette « ceinture à billets » devient de plus en plus sexy -, passer les contrôles du SRAS (prise de température), de la douane, etc. Après on se retrouve bête, à traverser à pieds un pont de 50 mètres de long, avec l’impression de flotter dans la brume.
50 mètres plus loin ce n’est pourtant plus pareil. Les gens se ressemblent, même s’ils ont beaucoup plus de chapeaux coniques (on en voyait déjà un peu au Yunnan), mais ils parlent mieux anglais. Il y a des mini-baguettes de pain partout ! Les maisons ont des façades, colorées et à balustrades. Ce n’est qu’une façade, les côtés de la maison sont laissés brut de décoffrage, mais déjà on sent la recherche esthétique. Tant de couleurs d’un coup, malgré la pluie aussi glauque que de l’autre côté de la rivière, on se croirait rentré à Disneyworld, ça ne peut qu’être plus relax, ce pays…
Rizières dans la brume
J’ai commencé par trois jours dans les montagnes à Sapa, à deux pas de la frontière, où vivent des minorités ethniques aux costumes folkloriques, les Hmongs Noirs notamment, qui font pousser le chanvre (pour fabriquer le tissus…) et l’indigo (pour le teindre !), et ont, pour les femmes, les mains bleues à force de travailler ce matériau (les touristes, eux, ont des sacs à dos bleus, à force de l’acheter et de l’empiler avec leur linge dans l’atmosphère saturé d’humidité de Sapa…).
La brume s’écartait une heure parfois le matin pour laisser voir les rizières partout sur les flancs des montagnes, mais globalement mon hôtel avec terrasse panoramique n’a pas été d’une grande utilité. Sinon de m’offrir pour la première fois depuis plusieurs semaines une chambre propre, et pour moi seule, avec des moustiquaires en dentelle (pas de moustiques, mais le charme des lits à baldaquins !). Il m’a fallu trois jours pour admettre que, oui, on pouvait être propre ; tout me paraissait reluisant, et aujourd’hui encore, je suis surprise à chaque fois que j’entends un touriste se plaindre de la saleté ou de l’inconfort dans un bus…
Train de nuit jusqu’à Hanoi. Là j’ai commencé à réaliser que quelque chose différait d’avant : pas besoin de concentrer le quart de ses neurones ni de son énergie, juste suivre le flot des touristes, de l’hôtel, au bus, du bus, à la gare, de là, au wagon. Même pas besoin de s’y prendre trois heures trente à l’avance ; on peut siroter une bière jusqu’au quart d’heure précédent le train.Grosse déception avec le train : ennuyeux à mourir, où sont les discussions hurlantes des Chinois, les graines de tournesol écrasées partout, les thermos d’eau chaude, les vendeurs de petits plats ?…
Hanoi : sous les pavés, la rage ; sur les trottoirs, les sages…
À Hanoi, j’étais enfin sortie de ma torpeur des deux premiers jours – passés à « atterrir », trouver à échanger mon guide de la Chine contre un du Vietnam, comprendre comment calculer avec des zéros pour payer, observer, naviguer dans la boue -, et le charme de cette ville n’a pas tardé à opérer. Les Vietnamiens ont la culture du café (ca phe), on peut s’asseoir partout, boire un verre. Ils le boivent glacé – la glace est livrée par pains énormes, sur le porte-bagages d’une moto où à même les planches d’une charrette à vélo ; pas tellement de voitures au Vietnam, pas tant de frigidaires que ça non plus (trouver un coca frais sans glace pilée relève parfois du parcours du combattant), pas de micro-ondes… Des télés, par contre, jusque dans les maisons flottantes des pêcheurs de la baie d’Halong… -, accompagné d’un thé très léger pour diluer. Le thé vietnamien est surprenant, infâme il faut bien le dire, surtout après la Chine et ses mille saveurs – mais je suis encore en train d’en siroter un à l’heure où je vous écris, ça n’empêche… -, très pale d’aspect, mais il vous décharge une dose de caféine ressentie jusque dans les doigts certains jours.
Arrivée à 4h30 du matin dans Hanoi, j’ai eu la chance de voir les rues encore à l’état calme. Une heure plus tard, c’est parti, il faut un véritable apprentissage pour traverser la rue, on voit les touristes désemparés, se voyant déjà condamnés à ne voir Hanoi que du côté gauche du trottoir. Il s’agit d’avancer au beau milieu du trafic, sans s’arrêter mais à deux à l’heure ; si l’on s’arrête, on surprend le conducteur et c’est là qu’on se prend une moto. Car l’autre grande caractéristique, c’est qu’il n’y a que des motos (plus quelques vélos, mais tout Vietnamien qui se respecte ne rêve que du jour où il va passer au statut supérieur de motocycliste ; et quelques voitures, mais surtout des taxis, et plus à Saigon qu’à Hanoi m’a-t-il semblé).
En tout cas, après un mois de cet exercice, on adopte une démarche nouvelle, la lenteur dans la mobilité, adaptée au trafic aussi bien qu’à la chaleur.
Je remarque différents usages du trottoir et de la chaussée, d’un pays à l’autre, après la Chine et le Japon, et ici à présent : au Japon, on partage le trottoir avec les vélos ; en Chine, les vélos ont leur piste, le trottoir sert à tout le reste, se laver les dents ou faire pipi, même, s’il le faut ; au Vietnam on est obligé de marcher dans la rue, le trottoir sert à garer les motos, à cuisiner et à s’asseoir pour manger…
La ferveur retrouvée
A Hanoi j’ai commencé à prendre mes repères, restée une semaine, dans un dortoir à… 1 US$ ! J’ai parcouru et reparcouru les rues du centre, spécialisées l’une dans les perles, l’autre dans le fer blanc, la troisième dans les papiers religieux (faux billets de banque, boîtes à bijoux en papier, faux téléphones portables, même, destinés à être brûlés au temple ou sur l’autel familial. Après la coupure de la Chine, j’ai retrouvé, au Vietnam, quelque chose de la ferveur du Japon : partout, chez les gens, dans les magasins de vêtements, les restaurants, sur les troncs d’arbres… des mini-autels ; une fente dans le trottoir, une vieille cannette de soda, une planche de bois, tout est prétexte à glisser un ou deux bâtons d’encens.), et tant d’autres rues aux artisanats les plus spécifiques.
Repos du guerrier
Coupure de trois jours pour aller voir la baie d’Halong, incontournable mais à bon droit : incroyable formation naturelle, et dormir sur le pont du bateau au milieu de ces pitons de jungle et du silence autour n’en était que plus fort. Tout autant que la randonnée du lendemain matin, guidés par un ancien soldat ayant combattu contre les GI’s (aucun Américain dans le groupe parmi nous, mais il nous a promis, le cas échéant, qu’il ne l’aurait pas semé dans la jungle ; tout cela est passé, et j’ajouterais même, l’Américain incarne solidement aujourd’hui le père du Roi Dollar, brûlé en facsimilé dans les temples, mais adulé dans la rue…). Le parcours relevait plus de l’escalade que de la randonnée, on peinait comme des bœufs, de liane en pierre bancale, tandis que lui gambadait en chaussures de toiles, taillant la route à la machette. Et donc je me suis dit que je n’aurais jamais pu être soldat. Ma montre était embuée par l’humidité autant que la dernière fois, à Kyoto, après trois heures de pluie battante sans parapluie. Mais ici c’est sous un soleil de plomb qu’on avançait…
Trois jours coincée avec un groupe, cependant, a ôté une certaine part de charme à l’expédition, et j’ai commencé à comprendre que voir le Vietnam, et non « les touristes au Vietnam », allait être une sacrée paire de manches, un challenge pour les trois semaines à venir, même.
Triste touriste, joyeux tropiques
Je n’ai commencé à relever le challenge que quinze jours plus tard, en fait, ayant atteint le fond de ma tolérance à ce système discriminatoire permanent, à Hoi An, Mecque du tourisme au centre du Vietnam. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve un moyen de quitter la spirale de la déception permanente : après la Chine et le Japon, une semaine de vacances font du bien, mais un mois comme ça à se traîner, facilement, avec le flot mono-orienté (du Nord au Sud ou du Sud au Nord : en tout cas on se suit les uns les autres, et on passe son temps à retrouver les gens qu’on avait aperçus la semaine d’avant), en se heurtant, à chaque tentative d’entrer en contact avec les Vietnamiens, à quelque intérêt commercial (quelqu’un vient vous parler, très ouvert, curieux, prêt à vous répondre sur deux ou trois questions concernant son pays ; et il ne faut pas trois minutes pour qu’il enchaîne subitement sur un « you come see my shop » ou « you buy something for me« …). Du coup les quelques rencontres authentiquement sincères prennent une saveur incomparable ! Mais parallèlement, on devient méfiant, on se fait violence pour admettre le caractère gratuit d’un tel contact.
L’argent pourrit tout, aussi bien les relations Vietnamiens/touristes, que les conversations des touristes entre eux : « …so cheap ! » et « dollar » sont probablement les trois mots les plus répandus sur le fil qui va du Nord au Sud du pays, le long des bus « open ticket » (ticket de bus « so cheap » qui permet aux backpackers d’économiser de quoi siffler quelques litres de bière ou de se payer quelques banana pancakes de plus ; bus spécial touristes, de même qu’il y a les bars spécial touristes, les restaurants spécial touristes, où le moindre verre de bière coûte 1/20ème du salaire mensuel d’un Vietnamien, etc.).
On n’est plus seulement assimilé à un Occidental (comme en Chine ou au Japon ; et après tout, c’est de bonne guerre : on est bien, en effet, des Occidentaux, et les Asiatiques ont autant de mal à nous distinguer physiquement les uns des autres, que nous à les différencier entre eux), mais également à un mangeur de fried eggs et de banana pancakes. Ce dernier semble bien s’assimiler à l’ultime signe de reconnaissance, l’appât 100% efficace du touriste, on le voit vanté en réclame sur toutes les devantures des endroits à touristes.
Je pourrais épiloguer comme ça longtemps sur le tourisme, en fait un voyage au Vietnam en apprend autant là-dessus que sur la culture vietnamienne probablement. C’est intéressant aussi après tout. Je voudrais lire Plateforme de Michel Houellbecq, maintenant que j’ai atteint Saigon et que je découvre, par-dessus le banana pancake, une bonne couche de prostitution et de gros types rougeauds traînant avec eux de jeunes Vietnamiennes salies aux yeux des leurs du moment même qu’elles s’affichent avec un Occidental.
Jacques a dit : prends ton vélo sous la pluie
Arrivée à une phase d’interrogations tracassantes, tentée même de filer au Laos voisin ou d’accélerer vers le Cambodge, je me suis dit que non, il ne fallait pas baisser pavillon si vite, et que pouvait s’inventer une solution différente.
J’ai donc décidé, et de ne plus jamais reprendre de tour organisé, et de changer de méthode par rapport au « harcèlement » commercial permanent : non plus l’éternel « no, thank you« , coupable et désolé, mais le jeu, par exemple, qui consiste à trouver une réponse différente à chaque fois pour les 2 à 300 sollicitations de la journée, sollicitations du type « Madame, motorbike !« , « Where are you from ?« , « How old are you ?« , « Where are you going ?« , « Can I help you ?« , « You buy postcard for me« , « You have euro coins ?« , « What’s your name ?« , etc. Les Vietnamiens ne sont pas dupes, et ils ont l’air d’apprécier les réponses qui les surprennent un peu. Je ne comprends rien à leur langue, mais ils paraissent avoir de l’humour et aiment rire ; ceux qui parlent anglais ou français, y compris les guides touristiques, ont toujours un mot pour rire.
J’ai aussi opté de faire avec le climat, le milieu du pays étant noyé sous ce qui semblait bien se confirmer comme étant la saison des pluies… Après tout, n’avais-je pas toujours rêvé de tester la marche en tongs dans la boue jusqu’aux chevilles ?… Et puis si les Vietnamiens vivent six mois par an là-dessous, il doit y avoir un moyen de survivre. Le moyen en question apparaît, en fin de compte, sous la forme du poncho, et un tour en vélo jusqu’à la plage, à 5km, sous un typhon, est sûrement un souvenir plus marquant que deux jours de parties de cartes sous la bâche inondée d’un bar ! (j’ai quand même appris deux nouveaux jeux, un australien, le « shithead« , et un suisse, le « yas« , plus sophistiqué mais moins drôle…)
Photocopillage sans limitation
La cuisine vietnamienne n’a pas la diversité de la chinoise, et je me prends à rêver parfois des currys thaïlandais ou indiens qui m’attendent, à défaut du poivre noir du Sichuan laissé en arrière… Mais ils ont une attraction qui me séduit assez, les restaurants végétariens, qui imitent à la perfection la viande, le poisson ou la charcuterie… avec du tofu et des champignons !
Le Vietnam est un pays maître dans l’art de la contrefaçon : non seulement les vêtements, sacs, chaussures (à Hoi An, par exemple, on peut se faire faire l’intégrale de La Redoute ou de Next pour quelques dollars), mais aussi les faux téléphones à brûler au temple, l’effigie du guide du routard, placardée partout – tantôt moustachu, tantôt barbu, blond, brun, ventru ou longiligne, mais c’est bien lui -, le nom de son concurrent voisin (pour un restaurant ou une agence de voyage, par exemple : cela donne des villes où toutes les agences portent le même nom… tout en restant de farouches concurrentes), les livres et guides touristiques photocopiés que l’on vous vend partout dans la rue ou les magasins, la viande et le poisson pour finir. Il est d’ailleurs significatif que les commerces de « photocopy » fleurissent partout et semblent prospérer confortablement…
L’Asie est un dragon au pied d’argile
Aujourd’hui, je suis à deux jours de quitter le Vietnam, nostalgique déjà et savourant les derniers moments où l’on est, enfin, plus à l’aise, sachant un peu mieux à quoi s’attendre ou vers quoi tendre, goûtant le plaisir de négocier sans stress et avec le sourire.
Justement, le Vietnam m’a apporté le sourire, et un rythme nettement ralenti…
Je vais sûrement retrouver au Cambodge les deux tiers des touristes présents ici, et n’ayant pas très envie de faire quatre mois de circuit « backpacker on a shoe string around South-East Asia« , je crois que je vais renoncer au Laos et à la Birmanie pour cette fois-ci, et m’envoler, après la Thaïlande, pour l’Inde, histoire d’avoir eu un apercu du boomerang qui relie le Japon à l’Inde…Boomerang, ou dragon, car la légende dit, à Hoi An, que le pont japonais aurait été construit sur le talon d’Achille d’un dragon imaginaire reliant ces deux empires, et c’est pour se faire pardonner de la bête ainsi clouée au sol, qu’on lui aurait édifié un petit temple au sommet du pont…
De la ville à la jungle
Pour un bref résumé géographique, après Hanoi je suis descendue à Hue, l’ancienne capitale, puis à Hoi An, très joli port de pêche noyé sous la pluie et les touristes, mais néanmoins ravissant, puis deux jours de plage et de vélo à Nha Trang.
En montagne, ensuite, à Dalat, où les choses ont commencé à prendre un tour nettement plus agréable et intéressant (VTT, visite d’une maison complètement farfelue, mi-Gaudi, mi-lianes des temples d’Angkor…), sortie du circuit rebattu pour rejoindre le parc naturel de Cat Tiem, une expédition en soi (et enfin un parfum de galère, retrouvé des deux mois précédents !) et la découverte de la forêt tropicale, nuits crissantes et coassantes, la porte ouverte sur l’épaisseur de la jungle, et morsure de sangsue à l’appui…
Saigon, enfin, où je me suis payé une chambre individuelle (!), chez l’habitant, et où je me promène tranquillement, à pieds, en moto ou en cyclo – ou cyclo-pousse, auquel j’ai eu un peu de mal à me mettre, un peu éhontée d’abord de me faire traîner en pleine chaleur par les coups de pédales déterminés de sexagénaires peu remplumés ; un peu moins en dépassant, sur ces cyclos, d’autres touristes plus volumineux, voire poussifs et avachis ; et de moins en moins finalement, en comprenant, face à leurs offres répétées au coin des rues, que les cyclo drivers ont désespérement besoin de travailler. Encore l’un de ces continuels arrangements avec la culpabilité, la star de notre Occident judéo-chrétien, mise au grand jour dans ce contexte asiatique et dans ce flagrant décalage financier…
Au Vietnam, l’art se cultive en terrasse
Je suis aussi allée au musée des Beaux-Arts, espérant retrouver le choc éprouvé à Hanoi, à la découverte notamment des peintures à la lacque. L’une des saveurs fortes du Vietnam, après la Chine, c’est l’esthétique préservée. On y prête même une grande attention. On soigne ainsi les apparences : les gens sont élégants, même en pyjama (certains sont en pyjama, et bien leur en fait, c’est sans doute le vêtement le plus agréable à porter par cette chaleur…). Les maisons ont des façades, de style « néo-colonial », à balustrades, même si à l’intérieur on dort par terre à côté de sa moto entre ses cartons de marchandise, tandis que les étages sont loués aux touristes de passage…
Les artistes fleurissent partout, il y a un courant d’art contemporain assez actif, des galeries partout, outre les musées nationaux. J’ai croisé des étudiants dans un café qui chantaient, accompagnés d’une guitare ; une autre fois, on m’interrogeait, pour un sondage universitaire, sur la mode et son importance à mes yeux ; un autre jour, le patron d’un café me montrait des reproductions des travaux de tous ses amis peintres, et déchirait pour moi la page d’un ouvrage, une vision rouge feu de la cathédrâle d’Hanoi, en souvenir…
Après cette transition citadine et « civilisée », je me dirige vers le raffinement, dit-on, du Cambodge et des temples d’Angkor… Les gens se protègeraient moins du soleil là-bas (les Vietnamiennes se voilent la face et portent des gants : un coup de soleil, et c’est le risque, peu apprécié, d’être prise pour une Cambodgienne ; autant perdre la face mille fois que d’essuyer un tel affront !…), et des touristes par la même occasion, moins parqués dans des circuits fermés. A voir.
Je vous envoie en tout cas plein de soleil et de sourires vietnamiens !
A bientôt,
Pauline
Cambodge
29/12/2003 07:48 Objet : Sawadi’ka !
Je ne sais pas dire « Joyeux Noël » en thai – ici ça se dit « Merry Christmas« , les Thai soignent leurs touristes et nous mettent partout des sapins décorés et des guirlandes dorées. On partagera plus avec eux, par contre, le Nouvel An, qu’ils n’hésitent pas à célébrer trois fois : international, le 1er janvier ; chinois, en février ; thai (la fête de l’eau, où l’on s’asperge dans la rue), en avril.
J’espère en tout cas que vous êtes tous en train de passer de bons moments, et de terminer cette année internationale agréablement.
Je suis en Thaïlande depuis une dizaine de jours, j’ai retrouvé Daniele à Bangkok le 21 décembre, avec bonheur !
Le Cambodge a été un véritable shaker… Au sens propre et au figuré. Mon dos n’en est pas sorti indemne, mais pas non plus ma sensibilité. J’ai pu voir comment on peut tout détruire en cinq ans, et combien il est long et laborieux de réparer les blessures et de repartir à neuf.
Mes premières impressions, après le passage de la frontière vietnamienne, en bus depuis Saigon – un nouveau grand moment : cette fois-ci, la frontière était un no man’s land écrasé de soleil, avec des groupes de gens agglutinés dans une succession de petits bureaux « hole in the wall » (ça dit bien ce que ça veut dire), des groupes de bagages amassés ça et là, des Vietnamiens saisissant bien à propos leur chance de nous vendre des riel (la monnaie cambodgienne), du coca ou le port de nos bagages, et une sensation d’écrasement au sol et de champ de bataille déserté, tandis que nous marchions vers la porte khmère du Cambodge – ont été de basculer de l’autre côté d’une barrière, vers un environnement complètement différent.
Slalom géant au Cambodge
Les chapeaux coniques, que j’avais vu apparaître par dizaines sitôt entrée au Vietnam, on disparu aussitôt, de la même façon. Remplacés par le krama, l’écharpe à carreaux dont les Cambodgiens ne se séparent jamais, elle protège du soleil, de la poussière, elle sert à porter un enfant, à emballer un objet, à décorer la taille ou le cou…
La route a changé d’aspect, aussi. Le sport national est le slalom, on arrive à faire 600km sur une route longue de 300, en zigzaguant patiemment entre les trous (à la recherche d’un résidu de macadam, mais la plupart du temps, dans l’idée d’éviter de laisser le dernier résidu d’amortisseur dans une ornière ; également pour éviter les veaux, vaches, cochons flânant ça et là). Le volant des voitures est tantôt à droite (les moins chères, paraît-il), tantôt à gauche – ce qui en dit long sur le côté réglementaire de la conduite… On évalue les distances, non plus seulement en nombre d’heures, mais en ratio trous/piste. Et le concept 4X4 du véhicule cambodgien est le suivant : 4 personnes pour 2 sièges. L’air est conditionné (fenêtres ouvertes) à la terracotta – j’ai dû d’ailleurs, ça y est, dire adieu à mes deux t-shirts, pas encore tout à fait élimés, mais cernés d’une coloration tye and die à la terracotta, irratrapable…
La route au Cambodge est un spectacle, comme partout ailleurs certes, mais plus encore peut-être parce qu’elle défile lentement, très lentement, et que c’est au bord des routes que sont alignées les maisons ; derrière ce sont des champs de riz à perte de vue, éclatants de vert, semés de temps en temps de cocotiers isolés, et de quelques bananiers.
Les maisons n’ont plus rien des maisons à balustrades « à la française » du Vietnam. Dans les villes, on trouve encore cette architecture, et beaucoup aussi de style Art Déco, des bâtiments jaunes percés de petites ouvertures carrées : à Phnom Penh notamment, le marché central, la gare, plusieurs écoles… Les maisons rurales sont en bois, sur pilotis (pour s’isoler à la saison des pluies, et pour faire la sieste à l’ombre le reste du temps, sur un hamac ou sur un lit de bois, qui ressemble à une table et sur lequel on peut aussi s’asseoir pour discuter, trier des légumes, s’épouiller, etc.), nombre d’entre elles sont des cabanes, piliers de bambous et toits de palme ou de paille de riz.
Sur les cocotiers on installe une espèce de liane, dont les grosses épines saillantes servent de marches pour atteindre les fruits agglomérés en haut. Partout, en ville, à la campagne, on trouve des monticules de ces noix encore vertes, qu’on ouvre d’un coup de machette et qu’on boit à l’aide d’une paille. Sous d’autres abris sur pilotis, les gens se rassemblent pour discuter. Dans les marres de boue, les enfants pataugent, avec les poulets, les cochons.
Sur les motos, on ne trimballe plus seulement des hordes de volailles pendues par les pattes (vivantes… j’en ai la chair de poule pour elles…), mais d’énormes cochons, dans des paniers allongés ou simplement pieds et poings liés, renversés sur le dos en travers du porte bagage. Des petits stands vendent de jolies bouteilles de coca-cola, de whisky, vertes, oranges, rouges, jaunes : l’essence pour les motos, qui ne sont pas aussi nombreuses qu’au Vietnam (adieu le « tut-tut ! » incessant des villes vietnamiennes…), mais qui restent quand même le moyen de transport privilégié, avec le pick-up truck et le minibus pour les transports en commun.
Surprise par rapport au Vietnam, par contre : on voit, à Phnom Penh, un certain nombre de grosses voitures ; comme en Chine, le modèle 4X4 avec vitres teintées si possible. Il y a en fait une importante communauté chinoise au Cambodge, beaucoup de commerces sont signalés en caractères chinois d’ailleurs, et l’on trouve un paquet de restaurants chinois, de petites banderolles rouges pendues sur les murs des maisons, de brioches à la vapeur dans des casseroles à étages…
Le gâteau cambodgien taillé en miettes
Les Chinois, les Malais, les Thai et les Vietnamiens font le business au Cambodge. Le tourisme est aujourd’hui la première source de revenus du pays, et principalement par l’attraction des temples de Siam Reap (Angkor Wat et ses petits frères). C’est une société vietnamienne qui exploite le parc à Siam Reap… Le Cambodge bénéficie indirectement de tout ça par le biais des guesthouses, restaurants, services alimentés par le flot de touristes. Mais c’est encore une chose qui m’a attristée.
En passant du Vietnam au Cambodge, on passe de 15 000 dongs, à 4 000 riels pour 1 US$ : monnaie plus forte, niveau de vie supérieur en théorie. La vie est plus chère au Cambodge (pour un touriste en tout cas…), mais la misère saute aux yeux. Ou peut-être pas aux yeux, mais à une sensation générale de tristesse, derrière des sourires pourtant toujours plus nombreux. Pas de karaokés partout, ni de feux d’artifices électriques (adorés des Chinois et des Vietnamiens), on sourit mais on ne semble pas plaisanter bruyamment comme au Vietnam.
On a autre chose à penser, avant tout : survivre, soi-même et sa famille, et reconstruire le pays, à commencer par la base, les routes, les hôpitaux, les écoles (taux de scolarisation bien faible : on ne voit plus les bandes de gamins en uniformes à tous les coins de rue), le Droit (actuellement c’est le Droit français qu’on enseigne à la fac, et l’on fait venir des professeurs de France), l’art – l’Ecole des Beaux-Arts enseigne la technique de la reproduction du Bouddha-souvenir, ou encore la copie de la même version criarde d’Angkor Wat au coucher du soleil, ou de danseuses (apsara) sur fond violet flashy ; tous les élèves formés actuellement sont destinés à être professeurs, il faut reconstituer les équipes. On pensera à la créativité après. On trouve quand même quelques galeries indépendantes à Phnom Penh, avec des visions plus personnelles de ces apsaras et des temples, emblèmes et fierté, à raison, du pays. -, mais encore le business, l’entrain général.
C’est cela, en fin de compte, qui m’a semblé manquer le plus. Par où commencer ? Où aller ? Je me suis demandé si les Khmers avaient un leitmotiv comme nous pouvons avoir notre « Liberté, Egalité, Fraternité », comme les Thai peuvent avoir leur « Notre pays, notre culture et notre religion, notre roi »… Une Australienne que j’ai rencontrée un jour me disait avoir une amie embauchée, depuis l’Australie, pour venir renforcer les équipes du service Communication du gouvernement cambodgien : pour la construction d’un message, et sa diffusion urgente, sans doute, au sein d’un pays noyé dans l’incertitude, on fait également appel à des renforts extérieurs… J’ai rencontré quelqu’un, par ailleurs, à qui un Khmer avait confié l’espérance de ne pas être réincarné en Cambodgien.
Ces anecdotes, pour confirmer mon impression, vague et assez pesante, à terme, d’un certain désespoir.
The Killing Fields
Peut-être est-ce parce que je suis allée voir dès mon deuxième jour, à Phnom Penh, le musée du génocide, Tuol Sleng, une école transformée en prison et centre de torture par les Khmers Rouges. Parce que j’ai vu, dans la foulée, « The Killing Fields« , ce film tourné dans les années 80 qui retrace la guerre civile. Les rues en terre battue (y compris à Phnom Penh, la capitale) m’ont laissé, suite à ça, un arrière-goût de champ de bataille ; les petites ouvertures des bâtiments Art Déco, de meurtrières. Tout particulièrement les écoles d’où sortent, aujourd’hui, les voix des enfants, et qui ressemblent étrangement au paisible bâtiment de Tuol Sleng. C’est peut-être aussi le calme général, la simplicité avec laquelle sont présentées les choses, cette prison notamment, qui souligne la brutalité des faits.
Tout cela pour dire que jamais je n’ai eu l’impression de passer aussi près d’une guerre et de ses retentissements.
Heureusement, toute une population et toute une culture subsistent de ce passé récent, et pas seulement les temples de Siam Reap, qui ont vraiment été un choc – ce lieu n’a rien du Disneyland auquel je me préparais psychologiquement, ni d’un musée fermé qui ne respirerait plus : c’est un parc, on peut se promener en vélo à travers la forêt et les temples, à la recherche des touristes qui, finalement, se cachent bien derrière tant de piliers, de pans de murs ébréchés, de troncs d’arbres « fromagers » coulants… C’est fascinant par son ampleur, par l’ambiance mystérieuse, par les Khmers qui vivent là et traversent tranquillement le parc en vélo. Et ça fait vibrer la corde romantique de tout Occidental qui se respecte !
Du Vietnam au Cambodge, changement de véhicule, radicale bascule
Du Vietnam vers le Cambodge, s’opère un glissement dans un tout nouvel univers, du simple fait que l’on tourne le dos au boudhisme du Mahayana (Grand Véhicule), pour aborder le Theravada (Petit Véhicule – ainsi nommé par ceux du Mahayana, pratiqué au contraire au Japon, en Chine, Tibet notamment, au Vietnam, en Mongolie). Beaucoup plus strict, voire superstitieux, dans la pratique quotidienne. On veille à faire chaque jour des offrandes au wat (temple), aux moines vêtus de robes orangé qui quêtent chaque matin leur nourriture, accompagnés d’un petit garçon au sac en bandoulière, qui rentre pour eux dans les restaurants, les cyber cafés, partout où une bonne âme pourrait verser une aumône. Ce sont les femmes et les enfants qui donnent, en général. Soit de l’argent, soit directement de la nourriture, dans la gamelle à étages du moine. Contrairement aux fidèles du Mahayana, ils ne sont pas végétariens.
Les moines sont infiniment respectés. On les voit se promener partout, sous des ombrelles orange, parfois, pour se protéger du soleil, à moto aussi, ou dans les pick ups. Ils vont visiter Angkor Wat comme les autres. Rassemblés dans les wat pour le sommeil, les repas (pris avant midi), l’étude ou la prière, ils n’en vivent pas moins au cœur de la population. Chaque fils d’une famille cambodgienne est tenu de passer au moins six mois de sa vie dans un temple, après quoi il peut choisir d’y rester ou non.
La superstition, c’est par exemple le fait que nombre de blessés par mines meurent faute d’avoir été transportés à temps à l’hôpital… chacuncraignant de voir sa moto ou sa voiture hantée à jamais s’il venait à mourir en route. Dans le parc national de Bokor, dans le Sud, j’ai visité une ancienne station de villégiature française, laissée à l’abandon et aujourd’hui l’un des lieux les plus dérangeants qui soient (sur les murs du palace en ruines, quelqu’un a d’ailleurs gravé, bien à propos, « Redrum« …), mais sûrement l’une des choses dont je me souviendrai. Des familles ont essayé de squatter certains des bâtiments, mais n’y ont pas tenu plus de quelques jours, par peur des fantômes… On voit effectivement les restes des squats, paillasses abandonnées, boîtes de conserves vides, et bâtonnets d’encens pour conjurer le sort…
Au-delà des douves d’Angkor Wat
Pour finir, car il faut bien s’arrêter, je souhaite à chacun d’aller une fois au Cambodge, les Khmers sont extrêmement accueillants (constat certes des plus banals – quel guide touristique de quel pays ne commencerait-il pas par ce constat optimiste ?… – mais qui mérite d’être répété pour un pays que la guerre fermait il n’y a pas si longtemps, et qu’elle mine encore), et surtout ils ont un pays qui dépasse les douves d’Angkor Wat.
Pour ma part je n’en ai vu qu’un tout petit bout en ces trois semaines, Phnom Penh à l’arrivée, puis Sihanoukville, sur la côte sud, et les plages les plus belles que j’ai jamais vues ; puis, le long de cette même côte, Kampot (fameuse pour son poivre) et le parc national de Bokor (celui de la station abandonnée, accessible aujourd’hui par une piste défoncée dans la forêt), retour à Phnom Penh, puis départ – un peu précipité sans doute : cinq jours de route « tape-cul » d’affilée, erreur stratégique… – vers l’Est, à Kompong Cham.
D’où je suis revenue à Phnom Penh, arrivée ce jour là à un point de saturation maximal (le premier depuis le départ, mais sensation pas très agréable. Suite à ça j’ai passé 24h « hors » du Cambodge, au bord d’une piscine au 4ème étage d’un hôtel international.).
Puis, pour finir, Siam Reap et les temples, avant de passer la frontière thaïlandaise – à Poipet, le trou le plus sombre et désesperant du continent, peut-être. On a construit des casinos à l’entrée du Cambodge, pour attirer les Thai chez qui c’est interdit. Devant ces édifices rutilants, des gamins nus et terreux, plus d’estropiés que jamais, des charrettes gigantesques poussées à main d’homme, des regards où l’on sent plus que jamais la mendicité, la prostitution, la misère -, et de redécouvrir avec un sourire béat l’existence du macadam, des feux tricolores, des bretelles lisses et nettes… première fois depuis le Japon…
Voilà donc pour ces quelques nouvelles, toujours trop longues mais le principal est ce dernier paragraphe : je vous envoie plein de pensées amicales, et de vœux de bonheur et de paix pour cette nouvelle année, internationale, lunaire ou tout simplement personnelle !
Pauline
24/12/2003 13:03 Objet : Merry Christmas !
Dear all of you,
Nous sommes le 24 décembre et Chiang Mai, dans la jungle, s’éclaire quand même de quelques sapins lumineux et de jingle bells parfois aussi, dans ce quartier backpacker où nous venons d’arriver et de trouver une guesthouse calme et reposante après Bangkok. Autant vous dire que je suis sur un nuage, tellement heureuse de ces retrouvailles avec Daniele !
Nous avons passé trois jours à Bangkok, dans Chinatown, Kao San Road (cette fameuse rue, complètement hors de la réalité, backpacker’s paradise, jamais vu autant de dreadlocks, de tongs, de tuniques indiennes et de banana pancakes ! Vaut franchement le détour), les canaux de l’ex-Venise de l’Asie…
C’était, pour moi, le grand retour à la grande, grande ville, oubliée finalement depuis le Japon, car même les villes chinoises, toute ultra-peuplées qu’elles soient, ne paraissent pas oppressantes, il y a encore beaucoup de vélos. Bangkok m’a presque fait peur…
Nous avons trouvé les deux dernières places dans le train-couchette hier soir, bondé de touristes en partance pour le Nord, et voici Chiang Mai.
Demain, nous nous sommes inscrits pour un cours de cuisine thai, on va choisir nos menus, aller au marché, cuisiner… et se régaler, hopefully ! C’est drôle de penser qu’on ne savait pas il y a deux jours qu’on serait ici pour Noël, ni ce qu’on ferait exactement… Cette idée nous plait bien. Il y aurait aussi le cours de massage thai qui serait tentant… On a essayé à Bangkok, dans une pharmacie : ici cela fait partie intégrante de la santé des gens !
Je pense beaucoup, beaucoup à vous, et suis en pensée et dans mon cœur à vos côtés, autour du sapin avec vous. Je pense à votre crèche internationale, et je me dis que c’est une super idée ! Je vous envoie toute mon affection, et vous charge d’embrasser aussi Tante Jacqueline et les cousins Fraisse. Je repense à ce Noël chez Jean et Adeline où j’avais été fascinée par les récits de leur neveu voyageur… contributeur lui aussi de ce voyage d’où je vous envoie moulte bonheur, et moulte reconnaissance une fois encore, vous êtes une famille géniale !
Je vous embrasse,
Pauline
Thailande – Malaisie
18/01/2004 08:51Objet : Chine !
Chers tous,
Un rapide petit mail pour vous dire que je suis bien arrivée à Kunming, et que je me suis immédiatement sentie à l’aise, décidément cet endroit me plait. J’essaie de comprendre pourquoi… La lumière – d’hiver… -, déjà, est bien différente de celle des tropiques ; on est à 2 000 m d’altitude. Les vélos, les faces rougies des gens, l’odeur de charbon un peu partout, celle de graillon sur les vêtements dans le bus, les petits enfants choyés comme des princes, aux joues rouges eux aussi…
La ville est moderne, mais pleine de petites touches de rusticité. En fait je trouve bien plus d’exotisme ici que face aux cocotiers, aux costumes folkloriques, sarongs, architectures baroques et dorées… Un peu comme à New York peut-être. Les gens ont bien l’air d’arriver tout droit des steppes d’Asie Centrale.
Ca va être le Nouvel An chinois, je ne sais pas encore si je le passerai ici, en ville, ou dans la montagne à Dali. Ca y est, hier en parlant avec quelqu’un à l’auberge de jeunesse (j’ai retrouvé la même, rien n’a trop changé, c’est génial de retrouver des choses connues !), j’ai découvert ce que j’allais faire : une semaine ou deux dans un monastère à Dali, à partager la vie simplissime des moines, et à apprendre le tai chi. Je vais commencer par une semaine, voir si je tiens le rythme (pas d’eau chaude, nourriture végétarienne, entraînement trois fois par jour, froid montagnard…). Il y a une journée de relâche le vendredi, où tout le monde, paraît-il, se précipite à Dali pour se doucher, manger de la viande, se connecter à Internet et racheter des provisions…Voilà ce que je cherchais : apprendre quelque chose, relever un petit défi, apprendre du chinois (les moines ne parlent pas anglais). Aux heures creuses, on peut même aider des enfants à apprendre un peu d’anglais.
En posant le pied à Kunming avant-hier, j’ai senti que la Chine était de toute façon un défi en elle-même, ultra stimulante. Par contre c’est drôle, je me sens beaucoup plus à l’aise, tout est plus direct, plus simple. La fille du bar de l’auberge de jeunesse m’a reconnue, c’est vraiment agréable.
Je ne sais pas quand je partirai pour Dali (l’endroit où j’avais déjeuné avec un moine, dans un autre monastère, et fait du vélo à travers des villages), j’attends de m’acclimater : car effectivement, on ne passe pas de neuf mois de printemps, été caniculaire, puis chaleur tropicale, à l’hiver (tout doux qu’il soit ici à Kunming… mais je me gèle !!!) sans casse… Je suis au fond de mon lit aujourd’hui, et ai inauguré, ça y est, ma boite d’ercéfuryl et de smecta. Mais peu importe, car cette AJ est tout confort, pleine de gens sympas, et ça fait du bien aussi d’être sous une couette et une bonne couverture ! L’hiver me manquait presque… Par contre je suis saisie de la façon dont je m’étais finalement acclimatée à la chaleur, mon ennemie passée. Comme quoi on s’habitue à tout… Je pourrais peut-être vivre en Alaska, avec un peu d’entraînement…
Je retourne me coucher d’ailleurs, et vous embrasse bien fort. Et vous envoie un grand bol de gaieté chinoise ! car c’est aussi ce qui est séduisant en Chine, cette gaieté, dans la petite musique partout, chez les gens chez qui on sent une confiance de futurs « rois du monde »…
Pauline
05/02/2004 08:45Objet : ça se précise
Chers tous,
Après le monastère et le silence des pins, des cloches et des coups de gong, me voici replongée depuis quelques jours dans la course au fax, photocopieuse, découpage, explication en pseudo-chinois, on recommence tout patiemment, une fois, deux fois, trois fois, on garde son calme… Il semble que ce soit bon, je pourrai récupérer mon billet d’avion à Bangkok le 16 au matin avant de partir à l’aéroport.
Timo, j’ai lu ton mail sur Yahoo, je suis bien désolée, ce n’est pas tout à fait parfait ces dates de retour, mais déjà c’est un retour, on se verra, n’est-ce pas le principal ? Ne bougez pas tout pour moi, surtout. Ce qui compte, c’est de vous embrasser ! Ah, ce n’est pas tout pour moi de gagner Paris… je pense qu’un coup de TGV sera pittoresque après tous ces bus, trains, camions… Est-ce que je peux vous demander, les parents, de faire la réservation du ticket, si c’est à Lyon qu’on se retrouve (question à moitié idiote : peut-être pensiez-vous faire un charter à Paris ?…) ?
Quelques nouvelles, alors, en attendant de vous en donner de vive voix et de vous montrer des photos !
La semaine dans la montagne a été exceptionnelle. C’est un monastère où le Maitre recueille des orphelins, garçons, et leur enseigne le kung fu. Si l’on accepte de se plier au rythme du lieu, on est accueilli avec bienveillance à passer du temps avec eux. Donc, six heures d’entraînement par jour, premier coup de gong à 6h15 le matin, à 20h le soir parfois je dormais déjà dans ma cellule. Pas d’électricité, pas de douche, le soir on se rassemble tous autour d’un petit feu de charbon dans une bassine, on écoute le Cheffo (le Maître), on discute… L’odeur des pins, les prières dans la nuit, le bruit de la fontaine dans la cour, les repas où l’on bénit le nom de Boudha avant et après avoir mangé… Et ces enfants extraordinaires, si respectueux d’eux-mêmes, des autres, de la vie qui leur est offerte là-bas. Ils pètent le feu, sont souples comme des serpents et énergiques comme des dragons !
A côté, nous autres Occidentaux avons l’air de singes maladroits… Quoi qu’il en soit, j’ai appris un peu de kung fu, et du tai chi, et pas mal de choses encore sur la culture chinoise. Et chaque jour un peu plus de la langue !
Je suis emballée. Revenue ici à Dali, je prends des cours avec une prof, cours particuliers, 15 yuans de l’heure (à peine plus de 2 euros), deux heures par jour, à 7h30 le matin et l’après midi. Fax et autres parties de rigolades mises à part, je dessine au soleil, j’ai récupéré un dortoir à 10 yuans pour moi toute seule, le pied ; je commence à connaître certains commerçants, j’arrive à commander en chinois au restaurant ; je rencontre des gens fascinants, on se retrouve au coin du feu le soir dans un bar, on regarde des films l’après-midi de temps en temps, je vais me passionner pour les films de kung f, je sens.
Demain je pense monter dans la montagne voir les enfants au monastère, leur apporter un petit manuel d’anglais, des pansements, désinfectant, fruits peut-être…
J’espère être capable de vous montrer un peu de tai chi !
Je n’aurai jamais vu autant de levers de soleils (grandioses) – et de couchers ! -, ça vaut vraiment le coup de se lever tôt ! Et j’adore voir la ville qui s’anime, en vingt minutes les volets sont ouverts, ça s’agite, les paniers à baozi (les délices à la vapeur…) fument aux coins des rues…
J’ai hâte de vous en dire plus dans quinze jours.
Ah, concernant le poulet fou, je vois que les médias font une fois de plus leur travail, du sensationnel, de la terreur ! Il faut vendre ! L’avantage, m’a fait remarquer une amie dans un mail, c’est qu’apparemment vous voyez des images de marchés asiatiques tous les jours… Ce n’est pas au Yunnan, mais au Guanxi, qu’il y aurait des cas en Chine, visiblement. Quant à Bangkok, je vais y passer quarante-huit heures, je ne fréquenterai pas les marchés, userai et abuserai de mon gel pour les mains, n’irai pas dormir, Daniele, dans la guesthouse du chant du coq (!), et inch’Allah, après tout, c’est la vie !
Don’t worry, ici tout va bien, vous pouvez répandre un autre son de cloche que ce que les médias prennent soin de diffuser en ce moment.
J’espère que vous allez bien de votre côté, point de grippe, et de belles journées d’hiver.
Je vous embrasse fort,
Pauline
samedi 24 janvier 2004 11:10Objet : Bonne Année chinoise !
L’année du singe – une précision sans doute inutile, tant vous devez en être rebattus en France, avec cette année franco-chinoise !
Me revoici… en Chine ! Changement de programme, arrivée en Malaysie et plongée dans le Chinatown de Kuala Lumpur, ce mélange incroyable d’Indiens, de Chinois, de femmes voilées, de saris, de jeans et de turbans, mon cœur a fait « boum », et je me suis lancée à la recherche d’un visa et d’un billet d’avion pour Kunming, dans le Yunnan, où j’avais terminé mon passage en Chine en novembre.
En Thaïlande, déjà, l’attrait des montagnes se faisait sentir ; à mesure que nous montions vers le Nord, réaparaissaient des formations karstiques, des roches étranges, et des cultures en terrasse.
Eléphantesque Bangkok
Bangkok, où j’ai posé un premier pied en arrivant du Cambodge, m’a d’abord séduite par son fourmillement d’étalages, ses trésors culinaires au moindre prix, réveil des papilles après le royaume khmer ; ses couronnes de fleurs que partout l’on tresse, pour offrande dans les temples ; son esplanade au bord de la rivière où chaque soir se rassemblent des centaines de Thaïlandais (et deux ou trois touristes heureux de se défouler…) pour un cours d’aérobic gratuit ; et ses quelques maisons de bois égarées au milieu des immeubles, presque posées sur des canaux fétides, une architecture et une ambiance qui me rappelaient quelque chose du Japon (en moins reluisant).
Puis j’ai tenté une sortie dans la ville. Elle ne s’arrête jamais, comme Paris, comme Tokyo, mais on devient claustrophobe dans ses bus bondés, arrêtés des heures au milieu de rues bondées, le long de ses avenues où l’on oublie qu’il y a un ciel un peu plus haut, et les seuls repères agréables auxquels raccrocher son œil deviennent les toits dorés des temples qui surgissent ça et là. Chinatown bat des records, les contre-allées permettent à peine de passer à deux, elles débordent de marchandise colorée, perles, montres, bric-à-brac, mais comment savoir combien de temps l’on va mettre pour rejoindre la prochaine artère ?…
De l’autre côté de la rivière, un reste des canaux campagnards d’autrefois, on quitte sa maison en bateau, les maisons pauvres se mêlent aux villas neuves en tek, surélevées, elles, de façon à éviter les crues de la saison des pluies.
Noël aux fourneaux
Après trois jours dans ce capharnaüm – six pour moi et ça commençait à durer… Première ville de cette ampleur depuis le Japon : les villes chinoises sont pourtant énormes, mais larges, quadrillées, aérées même, sinon quant à l’air, au moins quant à l’espace et la largeur des avenues -, et première remise en question de ma passion indécrottable des grandes villes…), nous avons réussi à attraper les deux dernières couchettes dans le train pour Chiang Mai du 23 décembre : un vrai « Christmas train« , rempli de touristes en partance pour un 24 décembre dans la capitale du Nord.
Changement de décor, jungle montagneuse, ville fortifiée, de l’air, des ruelles tranquilles où déambulent les touristes entre les guesthouses cosy ; cours de yoga, méditation, cuisine, langue thai, librairies anglophones, banana pancake et coffee shops, tout y est, mais il y fait très bon vivre, et je sentais des pulsions de sédentarisation me titiller…
Le 25 décembre, cours de cuisine thai ! Une journée entière d’enseignement intensif, éreintant (oserait-on presque dire !…), au marché le matin, puis aux cuisines, en dégustant chaque plat allongé sur des coussins au sol, dans une jolie maison traditionnelle de bois… Je rajoute donc dans ma liste d’emprunts, avec le futon japonais et le vélo chinois, le wok et le hâchoir ! Et je déménage à Chinatown, car il faut quand même un paquet d’ingrédients que le primeur du coin n’aura sûrement pas en magasin…
Après ça nous sommes partis trois jours en moto dans les environs, au hasard jusqu’à un B&B inespéré, tenu par un fan de musique hawaïenne et de tubes sentimentaux jazzy, entouré de deux épiceries-bars de village où nous avons eu de grands moments de communication gestuelle primaire.
Malheureusement j’avais embarqué avec moi un souvenir attachant du Cambodge, un mal de dos que les routes de la Thaïlande, toute lisses qu’elles soient, en moto n’ont pas arrangé. Ni la balade en éléphant – intéressant tout de même de noter le niveau de secousses auxquels étaient soumis les rois et les sultans, si paisibles et droits en apparence sur les gravures…
Avec Kid’s Ark, en visite à Bam Pong : la situation reculée des minorités nationales à la frontière birmane
Chance incroyable au cours de ce séjour dans le Nord de la Thaïlande : les retrouvailles avec Magali et Nicola, nos amis qui s’occupent de l’association Kid’s Ark, et leur bébé Pablo ! Ils connaissent bien Chiang Mai, nous ont fait découvrir un nouvel aspect de la ville, et nous ont emmenés voir la Kid’s Home, l’orphelinat monté sur place, et Bam Pong, le village dont certains d’entre vous parrainent des enfants.
J’ai été saisie du travail qu’ils font et ont fait là-bas, je me suis sentie émue, et très fière d’eux. A l’orphelinat, quatre petits garcons sont pris en charge pour l’instant, confiés par l’orphelinat national. Quatre petites terreurs, autrefois vivant seuls de débrouille dans la rue, et entourés là d’un personnel ferme et maternel. Le village, Bam Pong, est à la frontière birmane, une zone privilégiée pour le passage de l’opium. La population appartient à la minorité ethnique des Hmongs, l’une des nombreuses minorités de toute cette région qui va de la Birmanie au Nord du Vietnam, en incluant le Sud de la Chine. La pauvreté ne m’avait pas frappée jusqu’ici en Thaïlande, il fallait même la chercher, contrairement au Vietnam, au Cambodge, et aux régions rurales de la Chine où elle s’étale très nettement, mais là elle saute aux yeux.
Sans le Day Care Center construit par Kid’s Ark, où les petits enfants sont pris en main tous les jours par un groupe de femmes, où ils ont des jouets, du matériel éducatif, où on leur apprend à prendre une douche et à utiliser des toilettes, ces tout petits seraient livrés à eux-mêmes dans la poussière et les excréments, au pied de leurs cabanes de bambou et de palme sur pilotis, tandis que leurs mères travaillent dans les champs. Les enfants les plus âgés sont scolarisés, grâce aux parrainages. Les adultes produisent des objets de bambou et de tissage, dans le Training Center. Toutes les idées d’objets et/ou de commercialisation sont les bienvenues, pour continuer à développer le centre !
Magali et Nicola pourraient vous en parler plus précisement ; ils sont joignables à l’adresse kids_ark_france@hotmail.com.
Suite à ça, nous avons passé un nouvel an totalement improvisé, visite de l’hôpital de Chiang Mai pour vérifier que la fièvre de Daniele n’était pas une poussée de dengue ni un cas avancé de Sras, mais bien une fièvre de franchir de façon inopinée la barrière de 2004 ! Après quoi, nous avons pu danser libres de tout souci, et prendre un bain de feux d’artifices, les Thaïlandais sont débordants d’entrain quant à ces pétards, il en pleut de tous les côtés !
A Ko Pha Ngang, la lune est phosphorescente, Boudha est tatoué et rentre en transe sans méditer
Le Sud du pays (48h de voyage plus tard, une première nuit de train, une journée à la piscine du Sheraton de Bangkok (la pause du guerrier…), une deuxième nuit dans le train, bus, bateau, taxi dans la jungle… Ouf !) est un autre monde. Nous avons atterri à Ko Pha Ngang, l’une des îles de la côte est, dans une petite baie isolée, bungalows sur la plage, pas de voitures, pas de bruit sinon celui des vagues et de la house music qui rythme tranquillement l’arrière-fond des journées difficiles des backpackers qui habitent les lieux…
Je voudrais revoir à présent le film « The Beach« , mais dès à présent, avachie dans mon paréo, me balançant sur un hamac ou au coin du feu sur la plage le soir avec un verre, je me disais que je comprenais soudain comment une telle utopie avait pu venir à l’idée de l’auteur et de ses personnages révolutionnaires… Là-bas c’est bien en pleine utopie que l’on nage. Oublié, le monde : tout, autour, n’est que nombrils à l’air, muscle apparent, tout est sexy, tatoué, ça joue négligemment à la raquette ou au boomerang (taux d’Australiens élevé, visiblement…), se demandant dans quel ordre procéder, d’abord la crème solaire, ou bien la bière ? Dur…
Le paysage est incroyable, je m’attendais à trouver des tours bétonnées avec piscine et cantine sur la plage, mais non, c’est bien un paradis.
Pour l’instant je n’ai pas vu de vers remonter sous ma peau, la légende dit qu’on en attrape, dans cette vie de va-nu-pieds sur le sable blanc… Je veille au grain…
L’autre aspect de ce paradis naturel, de l’autre côté de l’île, la face nocturne de cette vie de papillon, c’est la fameuse Full Moon Party. On l’atteint en bateau à moteur, au clair de lune (pas le jour même de la pleine lune cependant, réservé aux fêtes boudhistes), et là c’est la mise en scène de la folie, un vrai spectacle, une plage entière phosphorescente, rythmée, brillante de lumignons et de musique, les jongleurs font tournoyer des torches enflammées, on se tatoue la peau à la peinture fluo, tout est permis, tous les looks les plus délirants, c’est la catharsis des citadins occidentaux tout à coup pieds nus, échevelés, os dans le nez, presque. J’étais fascinée. Un peu moins vers 2 heures du matin, quand le tout commence à tourner à l’orgie, la mer est prisonnière soudain de cette marée humaine (15 000 personnes), d’un dégueulis général ; des silhouettes sont dressées dans l’eau comme des statues luisantes au clair de lune, se soulageant face à l’horizon… Des photos perdues, ce soir-là…
En Malaisie, les retrouvailles de guimauve du Mont Meru et des rêveries chinoises
Nous avons poursuivi vers le Sud, jusqu’en Malaisie, avons atteint au bout de 36 heures l’île de Penang, dépaysement à nouveau : maisons chinoises anciennes, se mariant très bien avec l’architecture britannique laissée par la colonisation, temples hindhous, chinois, églises… Un côté ville coloniale en déliquescence, charme immanquable. J’ai pu expérimenter un vrai repas indien pris avec la main (droite), un plaisir inouï, les instincts sauvages ne sont jamais loin ! Les temples hindhous dégoulinent de statues colorées comme des bonbons de guimauve montés en pièce – en Mont Meru, plus précisement. J’ai retrouvé là quelque chose de la forme des temples khmers anciens, et des stupas modernes du Cambodge, sous un habillage de couronnes de fleurs qui m’évoquait les arrangements boudhistes thaïlandais.
Arrivée à Kuala Lumpur, je me suis à nouveau retrouvée seule, et ai arpenté les parcs, les musées, les rues, la piscine de Chinatown, en attendant mon visa et mon billet pour la Chine. Passage brutal de 40 degrés saturés d’humidité tropicale (pour la première fois j’ai ressenti la climatisation comme un bienfait), aux 2 000 mètres d’altitude hivernale de Kunming. D’où deux jours sous la couette, mais quel bonheur de retrouver un hiver et ce confort douillet d’une bonne épaisseur de plumes !
Je retournerais volontiers une autre fois en Malaisie, ce pays a l’air non seulement beau, mais surtout intrigant pour nous qui nous débattons avec la laïcité et la construction d’une culture homogène : les cultures et les religions se mélangent allègrement dans ce pays, en paix à présent.
Pour l’instant, j’ai besoin de retrouver du connu, d’arrêter d’engranger sans cesse de la nouveauté, d’approfondir quelque chose, et d’apprendre quelque chose si possible : demain je pars dans un monastère, ici à Dali dans le Yunnan, faire du tai chi et de la méditation chez les moines… Et je continue mes tentatives de baragouinage en chinois ; si ça ne me permet pas toujours d’obtenir ce que je veux, c’est toujours ça de rire suscité…
Emballée par la Chine décidément, c’est confirmé. Je vais quand même m’arrêter d’écrire, et vous re-souhaiter tout plein de bonnes choses pour cette année simiesque. Je vous envoie une brassée de cette bonne humeur pétaradante qui anime les rues ici en ce moment (et les Chinois d’une façon générale, Nouvel An ou pas !), de bonnes joues rouges, de musique allégrette !
A très bientôt,
Pauline
PS : j’ai un frère en or, webmaster de choc par-dessus le marché, qui recolte les photos que je peux lui faire parvenir, et fait un site sympa, sur www.fraisse.biz ; et une amie très chère et très douée, Isabelle, qui suit mon voyage et imagine parallèlement un magnifique carnet de voyage, il est en ligne sur fraisse.biz.
Isa a lancé en décembre son site, www.izacrea.com, ou vous pouvez voir et commander des tas d’idées, cartes de voeux, faire-parts… illustrés main et vraiment poétiques !